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DIDEROT.


maniéré comme vous l’êtes. J’en appelle à toutes les institutions politiques, civiles et religieuses : examinez-les profondément ; et je me trompe fort, ou vous y verrez l’espèce humaine pliée de siècle en siècle au joug qu’une poignée de fripons se permettait de lui imposer. Méfiez-vous de celui qui veut mettre de l’ordre.

C’est proprement l’anarchie, et quelle anarchie ! Dans la nouvelle Cythère, « tout est à tous », et, d’abord, les femmes et les filles ; la pudeur est déclarée préjugé : « Enfoncez-vous dans les ténèbres avec la compagne corrompue de vos plaisirs, mais permettez aux bons et simples Taïtiens de se reproduire sans honte à la face du ciel et au grand jour ! » L’inceste y est chose indifférente, puisque ce prétendu crime « n’est contraire ni au bien général ni à l’utilité particulière, ces deux fins de nos actions ». Et rien ne paraît plus stupide que le mariage ; « c’est la tyrannie de l’homme qui a converti en propriété la possession de la femme » ; rien de plus insensé « qu’une fidélité qui borne la plus capricieuse des jouissances à un même individu, que le serment d’immutabilité de deux êtres de chair, à la face d’un ciel qui n’est pas un instant le même, sous des antres qui menacent ruine, au bas d’une roche qui tombe en poudre, au pied d’un arbre qui se gerce, sur une pierre qui s’ébranle ! »

Sans doute, rentré en France, loin de cette chaude et sauvage poésie, Diderot consent à faire quelques concessions à l’organisation sociale et à la moralité artificielle ; mais il ne les fait qu’à regret, comparant parfois la morale à « un arbre immense