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DENIS DIDEROT.


idées, ses impressions, ses sensations ; il éclaterait comme une outre trop pleine, s’il ne se répandait pas ; l’auditeur n’est qu’un comparse et cette conversation, dont on a dit qu’elle était son chef-d’œuvre, n’est qu’un monologue. Autant en emporte le vent qui passe, mais il s’est soulagé. De même la plume à la main : s’il sait écrire, il ne sait pas se borner ; sa plume court, court indéfiniment, tant qu’il y a une feuille de papier sur son pupitre, une goutte d’encre dans son encrier ; il est de l’avis de l’artiste qui disait qu’il est plus agréable de peindre que d’avoir peint. Son improvisation, toujours fougueuse, même quand il traite des sujets les plus ardus, suit tous les méandres d’une conversation à bride abattue et il confesse quelque part que « les circuits de sa conversation ne sont pas moins hétéroclites que les rêves d’un malade en délire ». Saisissez la parole au vol et fixez-la sur le papier comme un papillon frémissant : voilà sa phrase. Son style, coloré et harmonieux, a toutes les qualités et tous les défauts de la parole ailée qui vole, va et vient, tourne sur elle-même, bat la campagne, se disperse, s’éparpille, se répète et s’évanouit. Aucune méthode, aucun soin, aucune coquetterie : « Je prends une plume, de l’encre et du papier, et puis, va comme je te pousse ! » Quand il s’est délivré ainsi des pensées qui l’obsèdent, s’il rencontre un éditeur assez hardi pour imprimer son manuscrit et assez généreux pour le payer, il en est fort aise ; mais si l’éditeur ne vient pas le chercher dans sa

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