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DIDEROT.


qui dicte cette boutade n’en est pas moins légitime, celle de l’homme qui se sait supérieur à son œuvre et qui l’est en effet, mais qui commence à craindre, avec raison, qu’il ne soit trop tard pour le prouver. « Mon portrait attend toujours une inscription qu’il n’aura que quand j’aurai donné quelque chose qui m’immortalise. — Et quand l’aura-t-il ? — Quand ? demain peut-être ; et qui sait ce que je puis ? » En effet, il s’est trop dispersé, trop dépensé ; il n’a produit jusqu’à présent que des fragments, il continuera, malgré cette hantise d’une œuvre achevée, à ne produire que des fragments ; il a fourni la matière de vingt volumes ; il n’a pas écrit, il n’écrira pas un livre ; le pli est pris, il ne donnera pas sa mesure ; et, comme le mot commence à se répandre avec la chose, il est et restera journaliste.

Aussi bien, sa véritable vocation est-elle là, celle d’un homme de première impulsion qui ne sait parler, au jour le jour, que de ce qui l’occupe sur le quart d’heure. Il n’a pas été le père du journalisme, qui existait avant lui, mais on a pu dire de lui, à bon droit, qu’il a été l’Homère du genre. Les trois quarts de ses écrits sont des variations, souvent ingénieuses et toujours éloquentes, sur les thèmes, livres, expériences ou tableaux, qui lui sont fournis par ses contemporains et servent de tremplin à ses propres idées, — c’est-à-dire des articles de journal. Sa curiosité, qu’il a promenée sur tout, l’a préparé à parler de tout, à tout moment, ce qui est le propre du journaliste ; et il parle de tout, non pas toujours