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DIDEROT.


elle-même qui a opté, il n’y a plus qu’à constater que tout se paye, la puissance par le désordre, exactement comme la grâce par la faiblesse. Parce qu’il est un homme de forte vie, il est un violent, pour ne pas dire un brutal ; il voit gros et il parle gras. Ce n’est pas pour rien que les philosophes anciens et même quelques modernes ont prescrit l’enseignement de la danse ; elle apprend au corps la flexibilité et la grâce dont l’esprit prend sa part comme le style. Diderot avoue qu’ayant essayé de danser, il n’y a jamais réussi et l’on s’en aperçoit. Il convient encore de se défier des gens qui ne savent pas manger ; or il est glouton et, de son propre aveu, « aime à se crever de mangeaille «. Il entasse dès lors les mots et les phrases, comme les mets, sans discernement, en tas. Entre vingt arguments qui se présentent, il ne sait pas choisir et faire son menu : il les prend tous, revient deux ou trois fois à chacun comme à son plat favori de choucroute, engloutit tout pêle-mêle ; cela s’arrangera dans l’estomac, arrosé de fortes rasades. Son style, encore classique, mais déjà romantique, est le plus riche du xviiie siècle ; sa prose est pleine et sonore, harmonieuse et lumineuse, on peut la lire à haute voix et elle fait image, c’est de la peinture et de la musique. Mais les grands mots y nagent dans l’emphase, les gros mots dans l’ordure. Sa verve est vigoureuse, mais épaisse et turbulente, et l’on compterait ses traits d’esprit qui ne sont probablement pas de lui. Une fantaisie légère peut seule