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DIDEROT.


de Brutus avec les charmes de Cléopâtre ». Prenez ses lettres à Mlle Volland : sauf quelques pages d’une tendresse profonde où il a mis tout ce qu’il y avait en lui de meilleur, elles pourraient avoir été écrites à un camarade de collège. Il en salit inutilement les plus jolies descriptions et les plus aimables récits. Il est si intéressant qu’on lui pardonne volontiers de n’avoir point compris que le « moi » est haïssable ; mais ne pourrait-il se mettre en scène sans s’y déshabiller ? Il n’y a pas de plus belle formule que celle-ci : « Revenir à la nature » ; mais pour y revenir il n’est peut-être pas besoin de descendre jusqu’à la bestialité. Diderot a découvert « qu’un aveugle n’aurait pas le sentiment de la pudeur » : il est cet aveugle. — Il aime vraiment la vertu, mais toujours, faute de goût, il s’en fait trop honneur, s’en vante comme d’un vice. Il est fort bien que le récit d’une belle action « excite à toute la surface de son corps un frémissement qui se fait sentir surtout au haut du front et à l’origine des cheveux » ; mais ce n’est pas respecter la vertu que la mêler systématiquement à des occupations où il serait plus loyal de ne pas chercher à faire l’ange. « Si Nature a pétri une âme sensible », c’est la sienne, mais la tendresse, à s’épancher sur tout, devient insipide et presque suspecte. À force de pleurer sur le sein de Greuze et dans le gilet de Sedaine, de sangloter devant les notaires qui rédigent des actes de partage et de « baiser cent fois » un ami qui part en vacances, il finit par user le