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DIDEROT.


première édition française — qui ne fut d’ailleurs qu’une traduction rétrospective de la traduction allemande par deux jeunes gens sans scrupule[1]. Si vous ajoutez que nous ignorons de qui le libraire Buisson reçut le manuscrit de la Religieuse, comment celui du Neveu se trouva en 1804 entre les mains de Schiller, où M. de Dalberg avait découvert celui de Jacques, et que nous ne possédons qu’une copie du Paradoxe, vous mesurerez ici encore la part de « Sa sacrée Majesté le Hasard », comme l’appelait Frédéric le Grand qui s’y connaissait. Un caprice de plus de « Sa Majesté » et nous ne connaissions de Diderot homme de théâtre que ses comédies, et Diderot romancier que par les Bijoux indiscrets.

Maintenant, pour expliquer qu’une pareille somme de travail, de talent et de gloire ait pu être jouée ainsi aux dés, suffit-il d’alléguer une fois de plus avec quelle générosité le philosophe laissa mettre sa vie au pillage, donnant ses manuscrits aussi facilement que ses idées ? Outre que ses romans, et même ses dialogues, ne sont, sauf Rameau, que des ébauches, fort poussées sans doute, mais loin encore, malgré une ou deux revisions, d’être prêtes pour le cadre, peut-être faudrait-il ajouter que si Diderot laissa inédites ses œuvres maîtresses et très

  1. MM. de Saint-Maur et de Saint-Geniès avaient donné leur traduction comme le texte original ; ils s’obstinèrent dans leur mensonge jusqu’à ce que Brière publiât, en 1823, le véritable texte original qu’il tenait de la marquise de Vandeul, et que Goethe, sollicité d’intervenir, eut démasqué l’imposture des deux associés.