Page:Reinach - Histoire de la Révolution russe.djvu/100

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
94
histoire de la révolution russe


XL


Un observateur compétent, M. Henry, écrivait en 1907 : « La Russie se trouve obligée à faire un formidable bond en avant. » Elle l’a fait ; faudra-t-il demain qu’elle recule ? Est-il à propos de rappeler le vers célèbre :

Le temps ne garde pas ce qu’on a fait sans lui


et de douter qu’un pays puisse passer, par une sorte de mutation brusque, de l’autocratie presque sans limites à la démocratie ?

La réalité n’est pas conforme aux apparences. Sous un régime autocratique, la Russie était démocratique depuis longtemps. Les idées qui triomphent aujourd’hui sont celles de Speransky en 1809, des Décabristes en 1825, de la première Douma en 1905. Ce sont celles qui ont agi pendant des années, comme un ferment salutaire, non seulement dans la littérature russe, mais au sein des unions provinciales et municipales. La Russie possédait une noblesse, non une aristocratie. Il n’y a jamais eu, dans la vraie Russie (à la différence des provinces baltiques), de corps analogue au Junkertum prussien. Les idées de liberté, d’égalité, de fraternité y ont grandi comme des fruits naturels du sol ; le despotisme n’a jamais été qu’un pesant décor. La Russie est le seul pays du monde où l’on s’appelle « frère » sans affectation.

L’histoire nous enseigne que la liberté politique est plus ancienne en Russie que le despotisme. Au xiiie siècle, il y avait des républiques à la manière