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Dès qu’il s’aperçut que l’un des deux chiens était à lui, il le saisit par le collier et laissa d’abord tomber sa bûche, sans hâte, sur l’autre chien.

Comme les deux bêtes ne se séparaient pas, Coursol, au milieu de ses moutons arrêtés, dut frapper plus fort. Le chien hurla sans pouvoir rompre. On entendit alors les coups de bûche résonner sur l’échine.

— Pauvres bêtes ! dit Gloriette pâle.

— Voilà, dis-je, comme on les traite au pays, et c’est étonnant que Coursol ne les jette pas au canal. L’eau agirait plus vite.

— Quelle brute ! dit Gloriette.

— Mais non ! C’est Coursol, un brave homme paisible.

Gloriette se retenait de crier. J’étais écœuré comme elle, mais j’avais l’habitude.

— Ordonne-lui de cesser ! dit Gloriette.

— Il est loin, il m’entendrait mal.

— Lève-toi ! fais-lui des signes !

— S’il me comprenait, il répondrait sans colère : « Est-ce qu’on peut laisser des chiens dans cet état ? »

Gloriette regardait, toute blanche, lèvres ouvertes, et Coursol tapait toujours sur le chien courbaturé.

— Ça devient atroce ! Veux-tu que je m’en aille ? dit Gloriette prise de pudeur. Tu pourras mieux te révolter contre ce misérable !

J’allais répondre je ne sais quoi, quelque chose de ce genre : « Ce n’est pas sur notre commune ! », lorsqu’un dernier coup de bûche, qui pouvait les assommer, désunit les deux bêtes. Coursol, ayant agi comme il devait, poussa ses moutons vers le village. Les chiens, libres, restèrent quelques instants l’un près de l’autre. Ils tournaient, penauds, sur eux-mêmes, encore liés par le souvenir.



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DÉDÉCHE EST MORT

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C’était le petit griffon de mademoiselle et nous l’aimions tous.

Il connaissait l’art de se pelotonner n’importe où, et, même sur une table, il semblait dormir au creux d’un nid.

Il avait compris que la caresse de sa langue nous devenait désagréable et il ne nous caressait plus qu’avec sa patte, sur la joue, finement. Il suffisait de se protéger l’œil.

Il riait. On crut longtemps que c’était une façon d’éternuer, mais c’était bien un rire.

Quoiqu’il n’eût pas de profonds chagrins, il savait pleurer, c’est-à-dire grogner de la gorge, avec une goutte d’eau pure au coin des yeux.

Il lui arrivait de se perdre et de revenir à la maison tout seul, si intelligemment, qu’à nos cris de joie nous tâchions d’ajouter quelques marques d’estime.

Sans doute, il ne parlait pas, malgré nos efforts. En vain, mademoiselle lui disait : « Si tu parlais donc un tout petit peu »

Il la regardait, frémissant, étonné comme elle. De la queue, il faisait bien les gestes, il ouvrait les mâchoires, mais sans aboyer. Il devinait que mademoiselle espérait mieux qu’un aboiement, et la parole était au cœur, près de monter à la langue et aux lèvres. Il aurait fini par la donner, il n’avait pas encore l’âge !



Un soir sans lune, à la campagne, comme Dédéche se cherchait des amis au bord de la route, un gros chien, qu’on ne reconnut pas, sûrement de braconnier, happa cette fragile boule de soie, la secoua, la serra, la rejeta et s’enfuit.

Ah ! si mademoiselle avait pu saisir ce