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Page:Revue de Paris, 7è année, Tome 3, Mai-Juin 1900.djvu/263

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LE FEU

nir la plénitude qui flottait en lui comme une mer d’angoisse.

Et il regarda la cantatrice, et il la vit telle que, durant les pauses, elle lui était apparue parmi la forêt des instruments, blanche et inanimée comme une statue.

Mais l’esprit de beauté qu’on avait évoqué tout à l’heure devait se manifester en elle.

— Ariane ! — dit tout bas Stelio, comme pour la réveiller.

Elle se leva sans rien dire, gagna la porte, entra dans la pièce voisine. On entendit le bruit léger de sa robe et de son pas ; ensuite, le craquement du clavecin qui s’ouvrait. Tous étaient muets et attentifs. Un silence musical occupait la place restée vide dans le cénacle. Une seule fois, le souille du vent inclina les flammes des bougies, agita les fleurs. Puis tout s’immobilisa dans une attente anxieuse.

 Lasciatemi morire[1] !

Soudain, les âmes furent ravies par un pouvoir semblable à cet aigle qui, en songe, ravit Dante jusqu’à la région du feu. Elles brûlaient toutes ensemble dans l’éternelle vérité, entendaient la mélodie du monde passer à travers leur extase lumineuse.

Lasciatemi morire !

Était-ce Ariane qui pleurait encore une nouvelle douleur ? Ariane qui montait, montait encore dans le martyre ?

 E che voleté
Che mi conforte
In cosï dura sorte,
In cosi gran martire ?
Lasciatemi morire[2] ?

La voix se tut ; la cantatrice ne reparut point. L’air de Claudio Monteverde se composa dans le souvenir des auditeurs comme une ligne immuable.

  1. « Laissez-moi mourir ! »
  2. « Et que voulez-vous — qui me réconforte — dans un sort si cruel, — dans un si grand martyre ? — Ah ! laissez-moi mourir. »