Page:Revue de Paris, tome 25, 1831.djvu/12

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raient sortis de son sujet d’une manière plus claire. Il est heureux pour moi que leurs développemens puissent se passer des ressources de l’imagination et de l’éloquence. C’est un thème si naïf qu’il y aurait scrupule à le charger des ornemens de la parole, si on les avait à sa disposition. La vérité y perdrait. On la reconnaît à sa simplicité ; et c’est pour cela que l’antiquité la peignait toute nue.

L’invention de la lettre fut le chef-d’œuvre de l’homme civilisé ; et j’entends ici par chef-d’œuvre, non pas ce qu’il avait à faire de mieux, mais ce qu’il pouvait faire de plus. La multiplication indéfinie de la pensée par l’imprimerie n’est qu’un résultat. Arrivé à l’invention de la lettre, l’homme avait parcouru tout le cercle de sa puissance intellectuelle. Il était parvenu à matérialiser l’esprit. La civilisation, à ce degré, n’a plus qu’à finir, et tous les efforts qu’elle tenterait pour se donner une nouvelle destinée seraient inutiles. Elle est à la pente de sa décadence : il faut qu’elle descende.

Toutes les histoires de l’antiquité ont des mythes et des symboles pour exprimer cette idée, bien connue des premiers sages. C’est Prométhée qui dérobe le feu divin, et qui n’enfante que la mort. C’est Adam qui cueille le fruit de la science, et qui n’apprend que le malheur de sa race, à jamais condamnée. Ce sont les descendans de Noé qui élèvent des tours vers le ciel, et qui arrivent à leur sommet avec des langues confuses, comme pour étaler de plus près, sous les yeux du Dieu vengeur, le tableau de leurs folles ambitions et de leurs incurables misères.

Tant que la pensée de l’homme ne fut pas écrite, elle s’entretint jeune, brillante et sublime, comme le feu sacré qui vit sur un autel. C’était un hymne dans la parole ; c’était une loi dans la tradition ; c’était une religion dans les siècles.

Fixée avec des signes convenus, elle fut ce qu’est la monnaie aux trésors de la Providence, ce qu’est un morceau de cuivre empreint ou flétri d’une effigie d’homme, qui représente le travail du pauvre et le pain de ses enfans, mais qui ne le nourrit point : un algèbre stérile et froid pour ceux qui l’entendent, incompréhensible pour ceux qui n’en ont pas l’inutile et triste secret ; quelque