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Page:Revue de Paris, tome 25, 1831.djvu/22

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— Vous avez trouvé la plus douce, la plus bienveillante, la plus hospitalière, la plus généreuse des populations. Respirez en paix cette atmosphère d’innocence et de jeunesse, d’enthousiasme et de poésie que le souffle de la science n’a pas altérée. Vous êtes chez les Morlaques, et ils ne savent pas lire.

La civilisation n’est jamais parvenue que deux fois à son plus haut degré de perfectionnement possible : la première fois c’était chez les Egyptiens, qui ne savaient pas lire la haute langue. Au moins ceux-ci en avaient plus d’une, et cette appréciation immense des besoins d’une société composée parle plus haut que tous les raisonnemens.

La seconde fois, c’est chez les Chinois, nation extraordinaire qui a inventé tout ce que nous inventons, qui invente tout ce que nous inventerons ; qui jouit depuis bien des siècles avant notre ère des droits de la seule égalité vraie, de la seule égalité sociale ; nation sublime par sa morale, sublime par sa raison, où les aberrations religieuses ne sont que des anomalies respectueusement tolérées ; où les principes généraux de crédibilité ne sont déduits que du cœur de l’homme et des instincts moraux que Dieu lui a donnés. La population s’y compte par millions ; les Chinois qui savent lire se comptent tout au plus par centaines.

Faites après cela de l’instruction universelle !

J’avoue que je ne suis pas d’accord en ces idées avec des hommes éminens de mon temps dont l’opinion est presque en toutes choses la règle de la mienne ; et Dieu m’est témoin que je leur en ferais volontiers le sacrifice aujourd’hui si je ne préférais la vérité à Platon. Je crois ce que je dis sur la foi d’une vie expérimentale qui m’a appris que le travail était bon, que le savoir était mauvais, et qu’honnête labeur vaut mieux que médiocre science. Il est aisé à un écrivain honorable, dont personne n’estime plus que moi la vaste érudition et la noble conscience, d’obombrer de teintes obscures quelques provinces où le prétendu bienfait de l’enseignement n’a pas encore obtenu tous ses résultats. C’est ainsi qu’on aurait signalé Smyrne, ou Cos, ou Salaminc, ou Colophon, du temps de l’auteur de l’Iliade si la statistique a l’encre de la Chine avait été