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Page:Revue de Paris, tome 25, 1831.djvu/241

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ponné à mon cœur. Partout je l’avais retrouvée, partout j’avais entendu sa voix, dans le bruit des vents, dans le murmure des vagues, dans le silence du désert. Gina ! le soleil des sables brûlans m’avait consumé de tous ses feux, j’avais gravi tout sanglant les rochers, j’avais dormi sur la neige des monts, et je n’avais jamais été torturé que de son souvenir. Mon ame s’ulcéra, mon caractère s’aigrit ; je revins à Vérone, mort aux émotions douces. Je ne sentis que colère et fureur au théâtre, à cette place solitaire où j’avais goûté la vie ; dans ces lieux où elle m’avait versé des torrens de délices je n’éprouvai que rage et jalousie.

» La tête de l’infortunée Gina s’était égarée. Malheureuse, son mari l’avait accusée de folie. Folle, il l’accusa d’ingratitude. Il était dans sa nature de s’indigner de tout ce qui froissait son tiède bonheur, de s’irriter des maux d’autrui, non par pitié, mais par égoïsme. Il vint un temps où la pauvre femme se levait toutes les nuits, pâle et silencieuse, s’habillait lentement, bouclait avec soin ses longs cheveux noirs, et après avoir contemplé avec un sourire mélancolique la glace qui l’avait autrefois réfléchie et si fraîche et si belle, elle parcourait les vastes appartemens de son palais ; et tout à coup elle s’arrêtait ; se croyant sur la scène, pensant avoir un public à remuer, des couronnes à recevoir, elle était tour-à-tour Anna, Juliette, Aménaïde ; sa voix s’élevait sous la voûte sonore, les modulations les plus suaves sortaient de ses lèvres ; et les phrases harmonieuses coulaient douces et cadencées, comme l’eau murmurant sur les cailloux polis. On dit que parfois, lorsque ses chants avaient cessé, ses yeux inquiets et hagards semblaient interroger la foule ; qu’elle répondait par un long cri au silence de mort qui régnait autour d’elle, et qu’elle tombait alors, froide comme la pierre qu’allait frapper sa tête échevelée.

» On assure qu’à cette époque ma raison se troubla. Il est certain qu’une étrange rêverie s’empara de mon cerveau ; je ne sais par quelle fatalité je vins à croire que Gina m’aimait, qu’en des temps plus heureux ma tête avait reposé sur son sein ; qu’elle m’appelait encore dans le silence embrasé de ses nuits. Que vous dirai-je ? J’étais fou, fou de malheur. Je ne sais ce que je résolus,