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Page:Revue de Paris, tome 25, 1831.djvu/245

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fraîche matinée de la vie ? Qui n’a pas eu à y pleurer sur des souvenirs et des tombes ?

» Le rideau n’était pas levé, les premiers accords de l’ouverture n’avaient pas encore fait passer le frisson sur toutes les ames, lorsqu’un mouvement semblable se communiqua à l’assemblée. Tous les regards se portèrent avec intérêt, avec une admiration mêlée de pitié, vers une loge d’avant-scène, où venait d’apparaître une femme voilée. Je n’eus pas besoin de voir ses traits, je n’eus pas besoin d’entendre prononcer son nom pour la reconnaître. Son apparition apportait dans le cœur comme un souvenir des mélodies du ciel. Je n’écoutai pas le Don Juan qu’on jouait sur la scène, et pourtant toutes les émotions de cette œuvre sublime passèrent dans mon cerveau exalté. Je m’étais approché jusqu’au banc adossé contre cette loge, où Gina s’enivrait douloureusement des triomphes d’autrui. Là, tout près d’elle, je respirais ses parfums, je comptais les palpitations de son sein. La cantatrice qui remplissait le rôle de dona Anna fut applaudie avec transport. Je secouai tristement la tête, et je fus froissé de dépit ; j’étais jaloux, comme si la gloire de Gina m’eût appartenu, comme si c’eût été me voler que d’en donner à une autre qu’elle. Mais Rosetta était l’amie de Gina : plus jeune qu’elle de quelques années, elle avait reçu ses leçons ; elle lui devait son talent, son succès, et peut-être aussi le sentiment élevé d’une reconnaissance généreuse et délicate. Gina l’encourageait de ses regards et de ses gestes ; le triomphe de la jeune débutante fut complet. Elle fut redemandée et couronnée à la fin de la pièce. Alors, modeste et touchante, elle s’approcha de la loge d’avant-scène, et tendit la couronne à son amie, qui la refusa. Je la ramassai comme elle tombait des mains de Rosetta, et, me penchant vers celle dont une faible barrière me séparait, je la posai sur sa tête, en m’écriant : « À Gina, à la reine du chant ! » Un tonnerre d’applaudissemens me répondit. Gina s’était levée, faible, émue, malade, mais radieuse de joie. Elle appuya une main sur mon épaule ; au milieu de l’enivrement de sa gloire, elle eut un regard pour moi ; sa bouche murmura faiblement mon nom. Aussitôt elle fut entraînée par le duc