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H. POINCARÉ.nature du raisonnement mathématique.

petit théorème, il ne pourra s’affranchir de l’aide du raisonnement par récurrence parce que c’est un instrument qui permet de passer du fini à l’infini.

Cet instrument est toujours utile, puisque, nous faisant franchir d’un bond autant d’étapes que nous le voulons, il nous dispense de vérifications longues, fastidieuses et monotones qui deviendraient rapidement impraticables. Mais il devient indispensable dès qu’on vise au théorème général, dont la vérification analytique nous rapprocherait sans cesse, sans nous permettre jamais de l’atteindre.

Dans ce domaine de l’arithmétique, on peut se croire bien loin de lanalyse infinitésimale, et cependant, nous venons de le voir, l’idée de l’infini mathématique joue déjà un rôle prépondérant, et sans elle il n’y aurait pas de science parce qu’il n’y aurait rien de général.

VI

Le jugement sur lequel repose le raisonnement par récurrence peut être mis sous d’autres formes : on peut dire par exemple que dans une collection infinie de nombres entiers différents, il y en a toujours un qui est plus petit que tous les autres.

On pourra passer facilement d’un énoncé à l’autre ; et se donner ainsi l’illusion qu’on a démontré la légitimité du raisonnement par récurrence. Mais on sera toujours arrêté ; on arrivera toujours à un axiome indémontrable qui ne sera au fond que la proposition à démontrer traduite dans un autre langage.

On ne peut donc se soustraire à cette conclusion que la règle du raisonnement par récurrence est irréductible au principe de contradiction.

Cette règle ne peut non plus nous venir de l’expérience ; ce que l’expérience pourrait nous apprendre, c’est que la règle est vraie pour les 10, pour les 100 premiers nombres, par exemple ; elle ne peut atteindre la suite indéfinie des nombres, mais seulement une portion plus ou moins longue mais toujours limitée de cette suite.

Or, s’il ne s’agissait que de cela, le principe de contradiction suffirait ; il nous permettrait toujours de développer autant de syllogismes que nous voudrions ; c’est seulement quand il s’agit d’en enfermer une infinité dans une seule formule, c’est seulement devant l’infini que ce principe échoue ; c’est également là que l’expérience devient impuissante. Cette règle, inaccessible à la démonstration