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UNE COURSE DE NOVILLOS.

loge du corregidor. On lui remit alors une lance dont le fer était très long, très large et très affilé, puis on le conduisit auprès de l’arbre. L’ours s’accroupit au-dessous, tenant sa lance dans ses pattes, et en dirigeant la pointe du côté de la porte du toril, par laquelle allait être introduit le taureau. Deux véritables picadors à cheval entrèrent en même temps dans l’arène et s’allèrent placer le long de la barrière, afin sans doute d’être à portée de secourir l’ours, s’il en était besoin.

Le roulement du tambour se fit entendre. Aussitôt un petit taureau noir non embolado se précipita dans la place, puis s’arrêta brusquement, bien moins effrayé que surpris en apparence, à l’aspect de l’étrange ennemi qui l’attendait.

L’ours et le taureau se mesurèrent ainsi quelques momens du regard, l’un et l’autre dans une complète immobilité. Cependant l’ours toréador, qui paraissait être un joyeux et hardi compère, ouvrit sa large gueule, et poussa un cri aigu. Ce fut le signal. Le taureau, voyant là sans doute un affront et un défi, s’élança soudain vers son adversaire. Mais celui-ci, qui le voyait venir, dirigea si habilement la pointe de sa lance, appuyée d’ailleurs fortement au sol, entre les cornes du taureau, que ce dernier se l’enfonça profondément lui-même et par son seul élan dans le front.

L’animal était blessé à mort. Il recula lentement, puis releva convulsivement sa tête où la lance était restée fixée. On eût dit une licorne.

L’ours, qui sortait vainqueur de cette lutte difficile et périlleuse, se redressa joyeusement sur ses pieds de derrière, ouvrit une seconde fois son énorme gueule, avec une manière de ricanement grotesque ; puis, courant vers le taureau, lui sauta sur le dos à califourchon. Il ne s’y tint pas long-temps. Sentant sa victime chanceler, il la laissa seule se renverser à terre, s’y rouler, s’y débattre, et bientôt expirer. Quant à lui, faisant mille gentilles salutations à la foule qui le couvrait d’applaudissemens et de viva, il franchit en un bond la barrière et disparut, se dérobant modestement à son triomphe.