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DU ROMAN INTIME.

ces âmes aimantes et polies des anciennes générations, dont le simple langage est déjà loin de nous, comme le genre de vie et le loisir ; pour celui-là, mademoiselle de Liron n’a qu’à se montrer ; elle est la bienvenue ; on la comprendra, on l’aimera ; tout inattendu qu’est son caractère, tout irrégulières que sont ses démarches, tout provincial qu’est parfois son accent, et malgré l’impropriété de quelques locutions que la cour n’a pu polir, puisqu’il n’y a plus de cour, on sentira ce qu’elle vaut, on lui trouvera des sœurs. Nous lui en avons trouvé trois, l’une déjà nommée, mademoiselle Aïssé, les deux autres, Cécile et Caliste des Lettres de Lausanne. Elle ne serait pas désavouée d’elles. Bien qu’un peu raisonneuse, elle reste autant naïve qu’il est possible de l’être aujourd’hui, et ce qui rachète tout d’ailleurs, elle aime comme il faut aimer.

Mademoiselle de Liron est une jeune fille de vingt-trois ans qui habite à Chamaillières, près Clermont-Ferrand en Auvergne, avec son père, M. de Liron, dont elle égaie la vieillesse et dirige la maison, suffisant aux moindres détails, surveillant, dans sa prudence, les biens, la récolte des prairies, et aussi l’éducation de son petit cousin Ernest, de quatre ans moins âgé qu’elle, et qui, depuis quatre ans juste, est venu du séminaire de Clermont s’établir chez son grand oncle et tuteur. Le père d’Ernest était dans les ambassades ; M. de Liron trouve naturel qu’Ernest y entre à son tour : voici l’âge ; pour l’y introduire, il a songé à l’un de ses anciens amis, M. de Thiézac, qui de son côté se voyant au terme décent du célibat, songe que mademoiselle de Liron lui pourrait convenir, et arrive à Chamaillières après l’avoir demandée en mariage. Or, Ernest est amoureux de sa cousine, laquelle aime sans doute son cousin, mais l’aime un peu comme une mère et le traite volontiers comme un enfant. Mademoiselle de Liron, toute campagnarde qu’elle est, a un esprit mûr et cultivé, un caractère ferme et prudent, un cœur qui a passé par les épreuves : elle a souffert et elle a réfléchi. Une année avant qu’Ernest ne vînt habiter du collége à la maison, il paraîtrait qu’elle aurait fait une absence et perdu, durant cette absence, une personne fort chère : elle portait du deuil au re-