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DU ROMAN INTIME.

insignifiante d’une si noble personne : la flamme de la lampe, en s’étendant, avait dû beaucoup user. J’imagine, pour accorder mon desir avec l’exactitude bien reconnue du narrateur, qu’ayant su par un témoin que la saignée au pied avait été difficile, il aura attribué cette difficulté à un reste d’embonpoint, tandis que la saignée au pied est quelquefois lente et pénible, même sans cette circonstance. Quoi qu’il en soit, la nuit de la visite et du départ d’Ernest, mademoiselle de Liron, pâle, en robe blanche, à demi pâmée d’effroi, ses grands cheveux noirs que son peigne avait abandonnés, retombant sur son visage, et ses yeux éclatant de la vivacité de mille émotions, mademoiselle de Liron, en ce moment, était au comble de sa beauté, et atteignait à l’idéal ; c’est ainsi qu’Ernest la vit, et qu’elle se grava dans son cœur.

Puisqu’on connaît le portrait de mademoiselle de Liron, puisque j’ai osé citer un passage de mademoiselle Aïssé malade qui, en donnant une incomplète idée de sa personne, laisse trop peu entrevoir combien elle fut vive et gracieuse, cette aimable Circassienne achetée comme esclave, venue à quatre ans en France, que convoita le régent, et que le chevalier d’Aydie posséda, puisque j’en suis aux traits physiques des beautés que mademoiselle de Liron rappelle, et à l’air de famille qui les distingue, je n’aurai garde d’oublier la Cécile des Lettres de Lausanne, cette jeune fille si vraie, si franche, si sensée elle-même, élevée par une si tendre mère, et dont l’histoire inachevée ne dit rien, sinon qu’elle fut sincèrement éprise d’un petit lord voyageur, bon jeune homme, mais trop enfant pour l’apprécier, et qu’elle triompha probablement de cette passion inégale par sa fermeté d’âme. Or Cécile a des rapports singuliers de contraste et de ressemblance avec mademoiselle de Liron : écoutons sa mère qui nous la peint : « Elle est assez grande, bien faite, agile, elle a l’oreille parfaite : l’empêcher de danser, serait empêcher un daim de courir… Figurez-vous un joli front, un joli nez, des yeux noirs un peu enfoncés ou plutôt couverts, pas bien grands, mais brillans et doux ; les lèvres un peu grosses et très vermeilles, les dents saines, une belle peau de brune, le teint