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de goût et d’une imagination sensible, une de ces fraîches lectures, dans lesquelles, au travers de rapides négligences, on rencontre le plus de ces pensées vives, qui n’ont fait qu’un saut du cœur sur le papier : c’est l’historien de mademoiselle de Liron qui a dit cela.

Quant à mademoiselle Aïssé, il y a mieux encore. Ce sont de vraies lettres écrites à une amie sous le sceau de la confidence, destinées à mourir en naissant, puis trouvées et publiées dans la suite par la petite fille de cette amie. M. de Ferriol, ambassadeur de France à Constantinople, acheta en 1698, d’un marchand d’esclaves, une jolie petite fille d’environ quatre ans. Elle était Circassienne, et fille de prince, lui assura-t-on. Il la ramena en France, la fit très bien élever, abusa d’elle, à ce qu’il paraît, dès qu’il la crut en âge, et mourut en lui laissant une pension de 4000 livres. Mademoiselle Aïssé vivait chez madame de Ferriol, belle-sœur de l’ambassadeur, et propre sœur de madame de Tencin. D’Argental, le correspondant de Voltaire, et Pont-de-Vesle, étaient fils de madame de Ferriol, et amis d’enfance de mademoiselle Aïssé. Quoique madame de Ferriol, femme exigeante, pleine de sécheresse et d’aigreur, n’eût pas pour mademoiselle Aïssé ces égards délicats qu’inspire la bienveillance de l’âme, la jeune Grecque, comme on l’appelait, était l’idole de cette société aimable, sinon sévère. Madame de Parabère, madame du Deffant, madame Bolingbroke, la recherchaient à l’envi. Le régent la convoita, et malgré l’officieuse entremise de madame de Ferriol, il échoua contre la vertu de mademoiselle Aïssé ; car c’était d’une enfant que M. de Ferriol avait abusé, et il n’avait en rien flétri la délicatesse et la virginité de ce tendre cœur. Le chevalier d’Aydie fut l’écueil sur lequel ce cœur se brisa. Le chevalier avait les agrémens de l’esprit et de la figure, un tour de sensibilité légèrement romanesque ; il était chevalier de Malte, mais avait eu des succès à la cour ; la duchesse de Berry l’avait distingué et honoré d’un goût de princesse. Il approcha de mademoiselle Aïssé, et s’enflamma pour elle d’une passion qui désormais fut son unique objet et l’occupation du reste de sa vie. Elle en fut touchée dès l’abord, et dans ses scrupules elle