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BATAILLE DE LA TABLADA.

alors arrivée sur la route de Cordoba, où nous voulions nous rendre, nous résolûmes de traverser la Sierra de Champanchin. Cette détermination faillit nous être fatale ; car Quiroga avait marché moins vite que nous ne l’avions calculé, et nous manquâmes de trois heures son arrière-garde, avant d’arriver à Piedra Blanca, petit village situé au pied de la Sierra. Nous franchîmes celle-ci en peu de jours, et, le 1er juin, nous entrâmes dans Cordoba.

Cette ville est du petit nombre de celles qui, en Amérique, réveillent des souvenirs qui se rattachent aux plus nobles travaux de l’homme. Les autres n’offrent le plus souvent que des traces de guerres anciennes ou récentes, ou bien le voyageur cherche en vain quelques évènemens dans le long sommeil dont elles ont dormi depuis leur fondation. Alors que les jésuites étaient tout puissans dans ces contrées, et (il faut le dire, malgré la réprobation qui s’attache aujourd’hui à leur nom) alors qu’ils y répandaient les sciences et les arts de l’Europe, Cordoba avait été choisie par eux pour être le centre de leur domination intellectuelle. Ils y avaient fondé une université où accouraient les étudians du Haut-Pérou, du Chili et de Buenos-Ayres. Aujourd’hui l’édifice qui la renfermait est encore debout avec les temples et les autres monumens, leur ouvrage ; mais son enceinte est déserte, et un collège, plus moderne, rassemble un petit nombre de jeunes gens appartenant presque tous à la ville. Il ne reste plus à Cordoba que la mémoire de ce qu’elle était, et ce charme inconnu qui s’attache à toutes les villes espagnoles. Quel est celui qui, ayant parcouru les colonies de cette nation, si grande autrefois, avec des yeux pour voir et une âme pour sentir, n’a pas rapporté, sous le ciel décoloré de l’Europe, quelques-uns de ces souvenirs que ne peuvent effacer les agitations de nos sociétés bouleversées ? Ces villes étalées au soleil avec leurs terrasses, leurs maisons blanches à triple cour, leurs rues se coupant toutes à angles droits et désertes à l’heure de midi, ces édifices où l’architecture maure s’allie à l’architecture du moyen âge, ces mœurs empreintes d’un reflet des mœurs de l’Orient, ces femmes à la démarche gracieuse, cachées pen-