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BATAILLE DE LA TABLADA.

Près de lui, Bustos, l’air soucieux, se tenait légèrement à l’écart, comme effrayé lui-même de son terrible associé. L’armée, ramas confus d’hommes rassemblés par l’espoir du pillage, la crainte et cet esprit inquiet si frappant chez les gauchos, offrait autant de costumes différens qu’elle comptait d’individus. Il est inutile de les décrire. Qui ne connaît aujourd’hui ce costume pittoresque, emprunté aux Indiens, auquel les classes inférieures des colonies espagnoles sont restées fidèles, et qui les sépare de celles plus élevées, que rien ne distingue des habitans de nos villes ? Une partie de l’armée était assez bien pourvue d’armes régulières ; mais le reste n’avait que ce que le hasard lui avait offert, les uns un sabre seul, d’autres des pistolets, et quelques-uns un couteau fixé au bout d’un bâton, en guise de lance. Quiroga avait tellement balayé la population sur son passage, qu’il avait forcé à le suivre jusqu’à des enfans entrant à peine dans l’adolescence.

Il nous rendit en silence la longue vue, après avoir vainement essayé de s’en servir, et ne recevant aucune injonction de nous éloigner, nous restâmes près de lui, pour être témoins de ce qui allait se passer. Un aide-de-camp, porteur d’une capitulation (s’il est permis d’appeler de ce nom l’ordre de se rendre à discrétion), qu’il avait envoyé aux miliciens renfermés dans la place, revint avec la réponse de ceux-ci, qui demandaient du temps pour délibérer. Quiroga prit le papier, le lut avec un sourire de mépris et le passa par-dessus son épaule à Bustos ; puis, le reprenant des mains de ce dernier, biffa d’un trait de plume tout ce qu’il contenait, et donna l’ordre à l’aide-de-camp de le reporter aux assiégés, avec injonction de se rendre de suite ; que sinon il allait donner l’assaut à la place. Les miliciens, qui avaient résisté la veille, ignorant le nombre de leurs ennemis, obéirent et se dispersèrent. Alors Quiroga entra dans la place avec une partie de son monde, monta au Cabildo, nomma pour gouverneur provisoire de la ville le beau-frère de Bustos, et fut reprendre sa position du matin, dans la plaine de la Tablada, en laissant cinq cents hommes dans la ville, pour la défendre. Tout cela fut l’affaire de trois heures ; mais Quiroga