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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

tes à l’examen et au libre arbitre. Au couvent et à la caserne, on trouve une vie toute faite, une journée divisée, heure par heure, en compartimens réguliers et immuables. Rien n’est laissé au caprice. Le sommeil est compté. Dans cette condition, l’esprit, selon sa force et sa portée, cède et s’endort quelquefois pour ne jamais se réveiller, ou bien lutte contre la vie qu’on lui impose, se replie sur lui-même, se contemple et se consulte, et n’ayant rien à faire avec les choses du dehors, puisqu’il n’y peut rien changer, il se fait à son usage une solitude parfaite, un complet isolement que la foule ne peut troubler ; il acquiert, dans ce combat assidu, une énergie nouvelle et prodigieuse : s’il ne succombe pas à la tâche, il est assuré d’un prix glorieux, d’une haute estime de lui-même, et d’un immense pouvoir sur les autres.

Tel fut le choix d’Alfred de Vigny, depuis 1815 jusqu’en 1828, époque à laquelle il a quitté le service, il a composé, dans sa vie errante, les différens poèmes publiés d’abord en 1822, 1824 et 1826, et réunis pour la première fois dans un ordre logique en 1829. N’ayant d’autre lecture qu’une bible, enfermée pendant la route dans le sac d’un soldat, un volume où il inscrivait fidèlement ses projets et ses pensées, il écrivait à ses momens de loisir, entre l’exercice et la parade, Dolorida, Moïse, le Déluge ou la Neige. De cette sorte, la poésie n’a jamais été pour lui une profession régulière, mais bien un délassement, une nécessité, un refuge.

C’est à Oléron, dans les Pyrénées, petite ville de la montagne, près Orthez, que lui vint la première idée de Cinq-Mars. Quand il pouvait obtenir un congé de quelques semaines, il venait à Paris feuilleter les mémoires du dix-septième siècle, le cardinal de Retz et madame de Motteville ; il s’initiait par de courageuses lectures à l’histoire de Louis xiii sous Richelieu. C’est à Paris, en 1826, que fut écrit et publié Cinq-Mars, qui depuis a été réimprimé trois fois, et dont le succès est aujourd’hui consacré.

En 1828, rentré dans la vie civile, Alfred de Vigny reporta toute son attention sur la réforme du théâtre, et avant d’abor-