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LETTRES PHILOSOPHIQUES.

ques principes philosophiques groupés en système ; or, ces principes étaient l’égalité des hommes et des peuples, la paix, le commerce, l’industrie et la liberté pour tous, la condamnation des conquêtes et des aventures militaires qui ne seraient pas utiles au monde, la solidarité du genre humain. Dans tout cela, je ne vois rien de belliqueux et d’offensif. Veuillez d’ailleurs remarquer, monsieur, que si la révolution française avait été préparée par des philosophes, classe ordinairement peu guerrière, elle a été commencée et dirigée pendant les premières années par d’autres philosophes, je veux dire par des théoriciens politiques, tout-à-fait étrangers à l’audace et à la pétulance de l’esprit militaire. Loin de songer à des conquêtes, ils les proscrivirent dans leur constitution, et répétèrent souvent à l’Europe le souhait sincère d’une paix inaltérable. La révolution française n’a jamais eu qu’une ambition à laquelle elle ne saurait renoncer, sous peine de se détruire elle-même : c’est d’être chez elle souveraine maîtresse. Comme il lui était impossible de prévoir jusqu’où la mèneraient son génie et sa fortune dans l’œuvre qu’elle entamait, elle demandait à l’Europe de la respecter dans cette carrière d’expériences politiques où l’avait poussée la destinée ; et la bonne foi qu’elle apportait au maintien de la paix générale, pouvait lui donner l’espoir de n’être pas attaquée.

Comment l’Europe exauça-t-elle les pacifiques désirs de l’esprit novateur ? L’Europe ne connaissait point l’état intérieur de la société française vers la fin du dix-huitième siècle. La mollesse du règne de Louis xv lui faisait toujours illusion, et lui dérobait l’intelligence de ce qui s’agitait dans les esprits. Quand elle vit la France réclamer avec chaleur l’ouverture de nouveaux états-généraux, elle s’imagina que l’ancienne constitution française allait reprendre son cours, que l’antique monarchie se réformerait elle-même avec le concours des trois ordres, et se retremperait dans les fidèles conseils de sujets loyaux et dévoués. Elle ne soupçonnait pas que les établissemens historiques dont on venait lui donner comme un dernier spectacle n’étaient plus qu’une représentation mensongère que la vie n’animait