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REVUE. — CHRONIQUE.

taine indécision ; attribuer le commencement de la réaction philosophique à Fénelon, après lui à l’abbé de Saint-Pierre et au prédicateur Massillon, voilà par quels préliminaires M. Lerminier est arrivé à ce qu’il a appelé le quaternaire immortel de la philosophie du dix-huitième siècle, Montesquieu, Voltaire, Diderot et Rousseau. Nous ne parlerons pas des tableaux qu’il en a tracés, il faut les avoir entendus. La participation du froid et lumineux d’Alembert, la campagne si bien menée de l’Encyclopédie, l’appréciation de Mably, esprit indigeste et souvent faux, des beaux travaux de Condillac remis en son rang et en honneur ; d’Holbach et Helvetius répudiés, Fréret célébré, Boulanger expliqué, ont rempli la partie littéraire de ce cours. M. Lerminier a voulu constater ensuite l’influence de la philosophie sur la société et sur les rois, qui sur le trône se faisaient les écoliers de la pensée. Il a esquissé l’histoire de la monarchie prussienne, caractérisé l’originalité supérieure de Frédéric, et rappelé le code prussien. Le génie si différent de l’Autriche et de Marie-Thérèse ; les tentatives pleines d’inexpérience de Joseph ii, le code autrichien ; la Russie, cette Catherine qui a des appétits de gloire et de volupté, et qui s’abouche volontiers avec l’imagination de Diderot infinie comme les steppes de son empire, ses essais de législation ; le midi de l’Europe, l’Espagne, d’Aranda, Campomanès, ce Turgot de la péninsule Espagnole ; le Portugal, Pombale, imitateur énergique et passionné du génie de Richelieu, ont successivement témoigné de l’influence et de l’empire que les idées philosophiques avaient exercés sur la société, de l’aveu et du fait même des gouvernemens.

Un seul homme s’était réservé pour le peuple, Rousseau. Revenant à la société française, après avoir peint la monarchie de Louis xv tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, la situation des parlemens, caractérisé l’entreprise de Maupeou, s’être long-temps arrêté sur Turgot, M. Lerminier est arrivé à la considération philosophique de la révolution française. Là, pour la première fois, dans une chaire publique, cet événement gigantesque a été apprécié sans pusillanimité, sans peur. Nous regrettons de ne pouvoir qu’indiquer à nos lecteurs la démonstration si lucide de la nécessité de cette révolution, l’esquisse de la Constituante, de cette époque première, synthétique et philosophique de notre régénération, la grande figure de Mirabeau, encore nouvelle après tant de portraits ; mais c’est surtout en osant aborder la Convention, que le professeur a montré la raison la plus indépendante, la plus déterminée, la plus altière. Quand il publiera le résultat de ce cours, tout le monde pourra juger la valeur et le mérite de ses tentatives pour sonder avec liberté, sans vertiges, ces terribles problèmes. Le consulat, l’empire, Napoléon et la restauration ont été également l’objet d’explications philosophiques. Enfin M. Lerminier s’est attaché à établir la connexité du dix-huitième et du dix-neuvième siècle, comment ce dernier, en reconnaissant sa filiation, devait agir avec indépendance et nouveauté. Il a montré tout à refaire et à recréer, l’art, la religion, la philosophie, la législation : il a démontré que nous n’étions pas plus au siècle du Bas-Empire qu’au siècle des Antonius ; il a fait voir que la civilisation moderne se recrutait incessamment, se renouvelait dans les rangs