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Walter Scott en Angleterre, Cuvier en France, Napoléon ii en Autriche ; en même temps les peuples meurent en masse chez eux, ils meurent en silence et sans se plaindre, comme s’ils étaient de grands hommes ! Et vous me demandez où en est la poésie chez nous ! où en sont les poètes ! Et moi je m’amuse à vous répondre ; car cela plaît de parler, même à un tombeau vide, quand on aimait le mort que l’on croit enterré là !

Reste à l’enfant de Bonaparte pour le chanter le chantre lui-même de Bonaparte et de Lisette, celui qui a fait son bien de Lisette et de Bonaparte, et qui en a également abusé. Je veux parler de Béranger. Pour parler de Béranger comme je voudrais, je n’ose guère, moi qui ose beaucoup cependant, parce que je suis persuadé que la meilleure façon d’être vrai, c’est de dire tout ce qu’on pense ; cependant il est certaines gloires pour lesquelles l’admiration est chose convenue et dont l’admiration est le point de départ. Béranger, c’est comme M. de Lafayette, on n’y touche point sans que la main se dessèche. Or, je tiens à ma main droite comme le bûcheron tient à sa cognée ; cependant je hasarde un doigt, pour vous plaire. Vous voyez que je suis complaisant.

Comme je vous disais, enfant ou jeune homme, au collège même où nous admirions Parny et Florian, je n’ai jamais beaucoup admiré les chansons de Béranger. Cela m’a toujours paru d’une gaîté et d’une tristesse affectées. Cela n’était pour moi ni une chanson ni une ode ; cela ne ressemblait ni à Collé ni à mon maître Horace. J’aimais peu cette gloire qui revenait sans cesse comme un refrain à boire ; j’aimais peu ces vieux défis de chansonnier que le poète élevait contre le ciel le verre à la main, comme cela se faisait du temps de M. Panard ; j’aimais peu ces sarcasmes sanglans, préparés pour venir après un banquet ; j’aimais peu cette politique entre la poire et le fromage ; j’avais en horreur ces vieux fanfarons de vaudevilles, et je ne savais pas comment on pouvait s’amuser avec ces jésuites que le poète faisait horribles, ces hommes de cour qu’il faisait, ces grandes dames dévotes et dissolues ; je ne concevais pas que ce fût là de l’orgie, une orgie française ; que ce fût là une chanson