Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 7.djvu/466

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
462
REVUE DES DEUX MONDES.

Madame de Vercourt avait fini son récit, et une larme baignait sa paupière ; mais aussitôt qu’elle se sentit redevenue maîtresse d’elle-même, elle ajouta avec légèreté : Conviens, Eugénie, que la comtesse était arrivée là bien heureusement pour ma vertu !

Cette dernière phrase avait été dite, sans doute, pour détruire le souvenir amer qui l’avait précédée. Cependant Eugénie rêvait. Madame de Vercourt s’était remise tranquille à broder.

— Aimez-vous donc encore ? dit enfin Eugénie, et Émile n’a-t-il jamais été désabusé sur la comtesse ?

— L’amour en cheveux blancs te semblerait peut-être plaisant ! répondit la marquise d’un ton qui déguisait mal ses regrets.

— Cousine ! cousine ! dit Eugénie.

Madame de Vercourt reprit avec émotion : J’avais de l’amour pour Émile, Eugénie ; mais depuis le jour où j’en ai tant eu à souffrir, j’ai lutté contre lui avec constance, et je m’en suis si bien rendue maîtresse, qu’il n’a plus été que ce que j’ai voulu qu’il fût. Comme amie, j’ai préservé ce jeune homme de grands malheurs, de grandes fautes, et tant que j’existerai, ma préoccupation principale sera son bonheur.

Eugénie avait compris, il lui restait encore à savoir si Émile n’avait pas, enfin, reconnu l’injustice de sa préférence.

— La comtesse, répondit madame de Vercourt, continua de tromper son faible amant ; il le savait, et cependant, jusqu’à sa mort, elle fut maîtresse de son cœur. Depuis, il n’y eut plus en lui la faculté d’aimer.

Comme la marquise finissait de parler, on entendit de nouveau le bruit du charivari. — Ah ! mon Dieu, encore ! s’écria Eugénie : mais on distingua bientôt aussi, du milieu de ces sons discordans, les pas d’un cheval.

— Tu vois, Eugénie, dit la marquise en riant, la fausseté de tes pressentimens. Cette musique tant redoutée accompagne ton mari. Madame de Barènes sourit, et déjà elle était dans les bras du colonel.