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LETTRES PHILOSOPHIQUES.

faudra-t-il donc, comme le surveillant d’Argos, désespérer de voir paraître le phare et la lumière ? Non, il n’y a de véritable écueil pour l’homme que son désespoir. Persévérons et donnons-nous au moins les émotions d’une vive recherche et d’une traversée agitée, en attendant ou en laissant à d’autres les plaisirs et les résultats de la découverte.[1]

Mais il n’est pas sans utilité, monsieur, de constater la dernière chute du dernier système, d’observer les raisons qui ont précipité le saint-simonisme, les élémens dont il s’était formé, les questions qu’il a soulevées, les semences qu’il a répandues dans les esprits.

Je viens de vous le dire, monsieur, immédiatement après le triomphe de l’insurrection de 1830, on entendit parler à Paris d’une nouvelle école philosophique, religieuse et politique : on en racontait des merveilles ; elle déliait le nœud de toutes les difficultés sérieuses de l’ordre moral ; elle répondait à tout ; elle se donnait pour avoir la puissance d’accomplir une révolution aussi bien dans la religion que dans l’économie politique, dans la conception des idées comme dans la satisfaction des besoins ; l’industrie ne lui devrait pas moins que les beaux-arts ; elle promettait enfin, fidèle à la loi du progrès qu’elle venait annoncer et dont elle propageait la foi, de toujours renouveler elle-même ses croyances et ses doctrines, de ne se reposer jamais dans la recherche de la vérité, et de suivre toujours la marche haletante du génie de l’humanité. Le premier coup-d’œil qu’on

  1. À ceux qui s’étonneraient de trouver ici déclaré ce besoin d’émotions même dans l’ordre des idées, je rappellerai ces paroles de Pascal : « C’est le combat qui nous plaît et non pas la victoire. On aime à voir les combats des animaux, non le vainqueur acharné sur le vaincu. Que voulait-on voir sinon la fin de la victoire ? Et dès qu’elle est arrivée, on en est saoul. Ainsi dans la recherche de la vérité, on aime à voir dans la dispute le combat des opinions ; mais de contempler la vérité trouvée, point du tout. Pour la faire remarquer avec plaisir, il faut la faire voir naissant de la dispute… Nous ne cherchons jamais les choses, mais la recherche des choses. » A-t-on jamais porté plus loin l’orgueil et la curiosité de l’esprit ? Pascal, plus je vous lis, moins je vous trouve l’âme chrétienne.