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naire chasse impitoyablement et stupidement le pauvre duc, qui lui avait sauvé plusieurs fois la vie et l’honneur dans ses guerres contre les Sarrasins. Le proscrit, dépouillé de tout, est obligé de fuir à pied, comme un mendiant, avec sa femme sur le point d’accoucher. Il ne trouve de refuge qu’auprès d’un vieux ermite, dans une forêt des landes de Bordeaux. Il passe là vingt ans dans la plus profonde misère. Mais au bout de ce terme, il envoie Aiol, le fils dont sa femme est accouchée dans l’ermitage, chercher fortune par le monde. Aiol se distingue par des exploits merveilleux au service de l’empereur Louis, et obtient la réintégration de son père dans les domaines qui lui avaient été injustement enlevés.

Je pourrais indiquer plusieurs autres romans du même genre et tenant tous au même motif historique, bien que l’on ne puisse dire s’il y a quelque chose de vrai dans le fait particulier qui en est le sujet. Mais je me bornerai à vous en signaler encore un qui mérite à tous égards plus d’attention ; c’est le roman des quatre fils d’Aymon, ou de Renaud de Montauban.

Ce roman, mutilé, dénaturé, décomposé dans les bibliothèques bleues, jouit encore d’une grande popularité en France et en Allemagne. Il n’a, je crois, aucun fondement historique. C’est, selon toute apparence, la pure expression poétique du fait général, dont d’autres romans du même genre ne représentent que des cas particuliers. Le caractère de Renaud me paraît l’idéal du caractère chevaleresque, dans le vassal en lutte avec son suzerain.

Le romancier fait naître son héros d’une race accoutumée à braver Charlemagne. Il le fait neveu de ce même Gérard de Roussillon, qui a si souvent guerroyé contre le monarque, et de Beuves d’Aigremont, qui ne l’a jamais reconnu. C’est une manière d’annoncer d’avance que ce héros n’aura point de complaisance servile pour Charlemagne. — Du reste, c’est ce dernier qui a tort dans la querelle qui amène la guerre, sujet du roman ; et dans le cours de la guerre, c’est le chevalier révolté qui fait tout ce qui se fait d’héroïque, de hardi, de glorieux : le monarque a pour lui la supériorité de la force matérielle, voilà tout ; et en-