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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

Hugo, le Théâtre de Clara Gazul, publié en 1825, au milieu des préoccupations politiques les plus puissantes, a-t-il conquis tout d’abord une sorte d’inviolabilité ? Pourquoi, tandis qu’on agitait dans les journaux et les salons la question des unités dramatiques, avec la même ardeur de conviction, le même enthousiasme de prosélytisme, qu’au temps où Pierre Corneille prenait la peine de réfuter, Aristote en main, les pamphlets de M. de Scudéri, personne n’a-t-il songé à mettre Joseph l’Estrange, éditeur des œuvres de la spirituelle comédienne, au rang des néophytes ou des excommuniés ?

Il y a deux solutions à cette énigme, une solution littéraire et une solution sociale. En premier lieu, Prosper Mérimée paraît s’être, en général, fort peu soucié des théories poétiques. Il y a cent contre un à parier qu’il consulte rarement Laharpe ou l’abbé Le Bossu. Il est donc tout simple que, vivant fort peu avec les poétiques, il n’ait pas eu à cœur de les réfuter en écrivant ; qu’il ait suivi, en composant des ouvrages d’imagination, son inspiration personnelle, sans s’inquiéter d’heure en heure, et presque de page en page, si telle phrase donnait un démenti au dix-septième siècle de la France, si telle autre donnait la main au seizième siècle de l’Angleterre. En second lieu, et ceci n’est pas moins grave pour peu qu’on y réfléchisse, il s’est peu mêlé aux sociétés littéraires. Il n’a pas encouragé du geste et de la voix, de sa présence et de son sourire, les orateurs de cheminée, les Démosthènes de canapé, qui, depuis madame Geoffrin jusqu’à madame de Staël et madame Récamier, ont eu le monopole des succès.

C’est, si l’on veut, une faute impardonnable, une irréparable négligence. À ne consulter que la fortune de son nom, peut-être faut-il le blâmer de n’avoir pas apporté à la réussite de ses écrits plus d’empressement et de sollicitude. Mais aussi n’y a-t-il pas gagné une paix profonde et sereine ? Vivant dans le monde des hommes, au lieu de vivre dans le monde des auteurs, n’a-t-il pas amassé un trésor inépuisable d’anecdotes et d’observations que les livres et les faiseurs de livres ne sauraient suppléer ?