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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

dépouiller sa pruderie littéraire, il saurait mieux que personne tailler dans l’histoire des poèmes pleins d’animation et d’intérêt. Mais pour cela il faudrait qu’il imposât silence à son érudition chagrine et querelleuse. S’il savait moins, il oserait davantage ; car, malgré les paroles de François Bacon, qui dit quelque part : « Qu’un peu de sagesse mène au doute, et que beaucoup de sagesse l’amène à la croyance », son principe, applicable tout au plus aux idées religieuses, échoue bien souvent contre la timidité de l’imagination.

Pour ma part, j’aime mieux n’avoir pas Catherine de Médicis, que je retrouve quand je veux en feuilletant quelques volumes poudreux, et posséder, comme dédommagement, Diane de Turgis, qui n’est nulle part ailleurs.

Comment est-il arrivé que le public français, si fier de son goût et de sa pénétration, si empressé d’ordinaire à se targuer de sa finesse et de son intelligence, ait attendu, pour faire à Prosper Mérimée sa part de gloire, qu’il renonçât aux ouvrages de longue haleine pour lui faire des contes de vingt pages ?

Je répondrai : pourquoi le public anglais, qui vante si volontiers l’érudition délicate et le profond discernement de ses universités, a-t-elle attendu, pour admirer Milton, l’avis d’Addison ?

J’aperçois, des deux parts, même confusion et même honte.

Oui, ce ne fut qu’en 1829, plusieurs mois seulement après la publication de son roman que le nom de Mérimée devint populaire, à l’occasion de Mateo Falcone. Mateo est, en effet, un véritable chef-d’œuvre de narration. Il est impossible de pousser plus loin l’artifice des incidens et du style, d’enfermer dans un espace aussi étroit plus d’émotions et d’idées, d’indiquer avec plus de concision et de vivacité autant de physionomies et de caractères. Je défie qu’on tire d’une donnée si simple un plus riche parti ; à la bonne heure c’est une perle, un diamant, si vous voulez. Mais n’avait-il rien fait avant Mateo ? Rentrez en vous-même, et rougissez.

À ce propos les fureteurs de bibliothèques, grands dénicheurs d’idées qu’ils ne savent pas nourrir, sauveurs de l’art qu’ils ne