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HISTOIRE DU TAMBOUR LEGRAND.

Du sublime au ridicule, il n’y a qu’un pas, madame !

Mais la vie est si fatalement sérieuse, qu’elle ne serait pas supportable sans cette alliance du pathétique et du comique. Nos poètes savent cela. Aristophane ne nous montre les plus épouvantables images du délire humain que dans le riant miroir de la raillerie ; le grand désespoir du penseur qui comprend sa propre nullité, Goëthe ne se hasarde à le montrer que dans les vers burlesques d’un jeu de marionnettes, et Shakespeare place les plus tristes plaintes sur les malheurs de l’humanité dans la bouche d’un fou qui secoue douloureusement ses grelots.

Ils ont tous pris modèle sur le grand poète primitif qui, dans sa tragédie universelle aux mille actes, a poussé à l’extrême ces contrastes que nous voyons tous les jours. Après le départ des héros viennent les Clowns et les Graziosi avec leurs bonnets de fou et leur marotte ; après les scènes sanglantes de la révolution et les hauts faits de l’empereur, reparaissent les épais Bourbons avec leurs vieilles facéties passées et leurs bons mots légitimes, et gracieusement accourt la vieille noblesse avec son sourire affamé, et derrière les prêtres avec leurs cierges, leurs croix et leurs bannières. Même dans la tragédie la plus pathétique, se glissent des traits comiques ; et le républicain désespéré qui se plonge, comme Brutus, un couteau dans le cœur, s’est peut-être assuré auparavant si la lame ne sentait pas le hareng. Sur cette grande scène du monde, tout va comme sur nos misérables planches de théâtre ; là il y a aussi des héros ivrognes, des rois qui ne savent pas leur rôle, des coulisses qui restent en l’air, des souffleurs hors d’haleine, des costumes qui sont l’affaire principale. — Et au ciel là-haut, au premier rang, est assise pendant ce temps la joyeuse troupe des anges qui nous lorgnent, nous autres comédiens, et le bon Dieu se tient gravement dans sa grande loge, qui s’y ennuie peut-être, ou bien qui calcule que ce théâtre ne peut durer long-temps, parce que certains acteurs ont trop de gages et d’autres trop peu, et aussi parce qu’ils jouent tous trop mal.

Du sublime au ridicule, madame, il n’y a qu’un pas. Tandis que j’écrivais la fin du chapitre précédent, et que je vous racontais comment mourut monsieur Legrand et comment j’exécutai fidèlement le testament militaire que j’avais lu dans son dernier regard, on frappa à la porte de ma chambre, et une pauvre vieille femme entra en me demandant amicalement si je n’étais