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LE CAPIDJI-BACHI.

tour de vous et par leurs mouvemens vous rappellent encore un reste de nature vivante. Mais, dans le désert, rien ne vient vous avertir que la vie existe encore hors de vous ; et puis le désert entre Damas et Bagdad est un désert artificiel, un désert de la main des hommes, plus triste que les déserts d’Afrique, que la nature a faits. Une ruine dans le désert ! c’est l’idée du néant accouplée à celle de la destruction.

Après quarante jours de marche, Ahmed arriva à Bagdad, brillant reste de deux époques, qui rappelle à-la-fois le règne de Babylone et le temps des mille et une Nuits. Depuis qu’elle n’est plus Babylone, elle a changé de maître, de religion, de nom ; mais elle n’a jamais changé de mœurs. Elle impose les siennes à toutes les formes politiques ou religieuses auxquelles elle se soumet. Ahmed se rendit aussitôt au camp situé à une heure de la ville. Hussein-Pacha y commandait.

Hussein-Pacha n’était pas un de ces favoris de cour plus eunuques que les Arabes du seraï, leurs rivaux : ce n’était pas un de ces fléaux d’Orient, qui font du pouvoir une marchandise, qui prennent du sultan un pachalik en manière de ferme, doublent à leur profit pour deux ans les produits d’une province, qu’ils rendent ensuite à la Porte, déserte et dévastée. Ce n’était pas non plus un de ces chefs remuans, qui lèvent audacieusement la tête, comme pour en faire une sorte d’étendard de mécontens, spéculant sur la crainte qu’ils inspirent au grand-seigneur, pour obtenir un exil avec un riche pachalik. Hussein était un brave et vigoureux pacha, dédaigné par les eunuques de harem, par les mignons de seraï, lorsque l’état était calme ; mais autour duquel tout l’empire semblait se réfugier, lorsque la tempête menaçait ; et alors le brave pacha sortait de sa jolie et modeste maison du Bosphore, reprenait son sabre du Khorassan et ne rentrait dans sa retraite qu’après avoir conjuré l’orage : c’était chose inexplicable qu’ayant déjà rendu tant de services à l’empire, il eût encore sa tête sur ses épaules. Chacun avouait qu’outre toutes ses grandes qualités, il avait un bonheur miraculeux.

Ahmed marcha droit à sa tente, plein de confiance dans sa