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UN ÉPISODE DU BLOCUS CONTINENTAL.

chait en vain ces cargaisons de café vidées en pyramide, ou ces pipes de rhum, qui grisaient rien qu’à les flairer en passant. Quelques vieux marins, mutilés comme leurs vaisseaux, remplissaient seuls cette scène de désolation. Nous devions cette situation au blocus continental.

Le blocus continental ! un de ces mots formidables que Napoléon coulait dans sa tête de bronze quand elle était en fusion, et lorsqu’il en sortait une colonne, une armée, une proclamation.

Le blocus continental ! idée qu’on a dans un rêve, ou à l’agonie ; qu’on prend sur les bords d’un autre monde ; qu’on vole à Dieu.

Le blocus continental ! projet qu’on exécute avec les bras d’un peuple entier ; journée de travail d’une génération.

On le sait : Napoléon n’était pas monté au trône par le chemin tracé de la naissance ; sa dynastie avait commencé à tel jour, à telle heure. Le canon lui avait troué un passage au milieu des royautés européennes. Il s’était fait empereur, comme on se fait homme, c’est-à-dire seul, avec la seule énergie de sa volonté ; mais parvenu à cette hauteur, il fallait s’y maintenir : c’est plus difficile que de monter. Il mit son épée devant lui, en tourna la pointe contre qui en approcherait : tous se jetèrent sur cet aimant qui avait attiré les peuples. Il avait vaincu l’Autriche deux fois, toujours, il en était fatigué ; l’Italie, la Hollande, le Danemarck, l’Espagne, le monde entier : mais battue cent et cent fois, l’Angleterre résistait ; l’aigle s’empêtrait dans le léopard, et l’Angleterre était le plus à craindre. Pour que Napoléon ne pérît point, l’Angleterre devait périr. Invulnérable dans son île, il fallait l’attaquer ailleurs que chez elle ; et comme elle était partout, partout on l’atteindrait. Le génie de Napoléon avait deviné le moyen sûr, infaillible, s’il était secondé, d’abattre l’Angleterre, c’était de lui ôter la vie, en empêchant qu’elle ne la renouvelât par ses points de contact avec les autres peuples. Il fallait que le continent tout entier repoussât, comme un vaisseau pestiféré, la flottante Angleterre ; que contre elle chaque côte devint une batterie, chaque ro-