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d’un de nos meilleurs collèges, l’obligation où elles se trouvent, comme femmes d’autant de Caton et de Cincinnatus et comme égales de leurs servantes, de veiller et de mettre la main à toutes les choses du ménage, contribue à les retenir ou à les rappeler sans cesse dans un cercle d’habitudes tout-à-fait communes et sans élégance. Il faut voir la pitié qu’elles inspirent à notre voyageuse et tout ce qu’elle en dit. Elle se trouve là dans son élément, et n’épargne pas les observations. Femme distinguée du pays du monde où les femmes sont le mieux élevées, elle ne tarit pas de considérations justes, fines, souvent profondes sur la condition des Américaines. Et au fait, elle n’a point tort de s’appesantir sur un tel sujet ; car la condition des femmes est le fait le plus significatif de la civilisation d’un pays : celui-là bien connu, on peut toujours en induire la plupart des autres.

Nous ne connaissons pas mieux la véritable démocratie religieuse que la véritable démocratie politique. Il en est de notre protestantisme comme du gouvernement représentatif : il n’est guère qu’un accommodement entre nos idées et nos habitudes. Il accorde trop ou trop peu, trop pour l’autorité, trop peu pour la liberté, et depuis long-temps son principe l’aurait entraîné, si nos habitudes n’avaient fait résistance. Il faut aller en Amérique pour connaître les véritables conséquences religieuses du principe démocratique. Du même droit que l’individu est roi en politique, il est prêtre en religion ; là, il fait la loi, ici le dogme, et par la même raison ; c’est qu’il n’a que des égaux et point de maître, et que personne n’a plus le droit de décider ce qu’il doit croire, que ce qu’il doit faire. Cela posé, le reste s’ensuit. On élit une religion comme on choisit un métier ; et si on n’en trouve pas à sa guise, on s’en passe, ou on en fait une. Les autres n’ayant rien à voir dans ce choix, l’état reste indifférent : il n’est pas athée, l’expression est mauvaise, car il ne nie pas plus qu’il n’affirme ; il ne pense pas. Mais aussi il ne paie pas : chacun paie son prêtre comme son médecin, et les pauvres s’en passent : ils font comme s’ils étaient sceptiques. Ce système est plus cher peut-être, mais il est plus libre. Loin de tuer l’esprit religieux, ce régime de pleine liberté le mettrait dans