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Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 8.djvu/203

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LE CLOU DE ZAHED.

puis il serpente à son tour, et semble s’arrêter un instant pour reprendre haleine, quand les mugissemens de l’Euphrate viennent lui révéler l’approche de son ennemi. Alors les deux fleuves s’observent et se guettent. Ils s’éloignent, comme effrayés l’un de l’autre. L’Euphrate fuit dans la direction du sud, jusqu’à la ville de Samaouai, où, comme indigné de lui-même, il tourne brusquement à l’est, et se précipite bravement sur son rival, à la hauteur de Korna. C’est alors un combat acharné, des cris de rage. Mais le Tigre, plus rapide et plus fort, entraîne bientôt son vieux suzerain dans le lit qu’il a creusé pour lui-même ; il le force à grossir ses flots majestueux et à lui faire cortége jusqu’au golfe Persique, où tous deux s’abîment enfin, après avoir roulé quelque temps dans le même lit.

Voyageur, prenez garde ; car dans l’ombre de la nuit tout est un piége ou une trabison dans les plaines du Djézira. L’herbe est sillonnée de reptiles venimeux ; les lions rugissent dans les roseaux ; l’air est obscurci par des nuées de sauterelles ; le semoun souffle du sud ; et cette blancheur mouvante que vous apercevez au loin, c’est le bournous d’un Bédouin, autre bête féroce qui rôde pour chercher sa pâture. Votre cheval lui-même ne pose qu’avec défiance ses pieds sur le sable, ses oreilles se couchent sur sa tête, il flaire le sol avec terreur, et vous sentez sa peau trembler sous la selle qui vous porte. Prenez garde, les lions de l’Euphrate sont traîtres et affamés, mais le Bédouin est plus redoutable encore.

Au milieu d’une belle nuit de la lune de Zilcade, un bomme s’avançait seul sur la côte occidentale du Tigre, à quelques milles de Baghdad. Il cheminait sans crainte, et laissait son cheval arabe longer d’un pas tranquille les sinuosités du fleuve. Les cris des lions, leurs yeux étincelans dans la nuit, les bonds bruyans du Tigre, ne paraissaient nullement préoccuper sa pensée. Les rayons de la lune tombaient à plomb sur son bournous, dont les plis blancs et cotonneux l’enveloppaient de la tête aux pieds. Il poursuivit long-temps sa route, immobile, absorbé dans sa rêverie profonde ; son cheval hennissait cependant, comme s’il eût senti l’approche de quelque danger. Il quitta bientôt la direction du fleuve et se mit à galopper à travers la plaine, sans que son maître fit mine de diriger sa marche et son allure. Il restait enfermé