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Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 8.djvu/231

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LETTRES PHILOSOPHIQUES.

athée[1]. La France est perdue si elle ne remonte violemment le cours de son histoire. Et la vérité est si grossièrement outragée, qu’on ne s’expliquerait pas l’influence exercée par cette feuille loyaliste, sans l’intervention d’un homme, M. de Chateaubriand, qui prit l’antique monarchie sous sa tutelle, et cacha quelque temps sous les splendeurs de sa gloire les taches de la couronne et les ruines du trône. Comment donc le premier écrivain de notre âge se trouve-t-il dans d’autres rangs que les nôtres ? D’où vient ce divorce entre les allures du génie et les mouvemens de la liberté ?


C’est la Bretagne, une des plus illustres provinces de la France, qui nous a donné M. de Chateaubriand. Dans les bruyères de Combourg s’éleva son enfance et sa première jeunesse ; il y était le compagnon des vents et des flots, pour parler son langage ; il y contracta l’amour de la solitude et de la nature, le besoin des grands spectacles de la création, et par contre-coup des pathétiques émotions qu’impriment au cœur les ruines de l’histoire. Cette enfance décida de sa vie ; elle éveilla cette imagination céleste qui a fait ses tourmens et nos délices, don divin et douloureux, irrésistible enchanteresse qui ne communique ses secrets et sa jouissance qu’en déchirant l’homme dont elle fait un poète sacré, une lyre éternelle, un temple animé. Au printemps de 1791, le jeune François de Chateaubriand quitta sa mère et la France pour commencer à voyager ; volontairement il se détourna du choc de la révolution pour traverser les mers, pour visiter l’Amérique, pour entamer cette course aventureuse qui se confond avec sa vie, qu’elle remplit presque tout entière, et dont elle est l’image. Désormais le voyageur ne se reposera plus ; c’est peu pour lui d’avoir serré la main de Washington, et contemplé les monumens de l’Ohio ; après avoir touché le sol de la patrie, il repart, et je le vois dans Rome. Mais ce jeune homme est déjà rassasié dans son cœur, ou plutôt il a tout dévoré : il a tourné la tête vers l’Orient, il aspire à Jérusalem, en prenant pour étapes Sparte et Athènes ; eh bien ! ni Jérusalem, ni Lacédémone, ni les cités de

  1. Tome v, page 443.