Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 8.djvu/238

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
232
REVUE DES DEUX MONDES.

cette entreprise ; et la France, sans être convaincue, lisait avec curiosité le manifeste de cette démagogie aristocratique.

La légitimité a eu deux soutiens, M. de Villèle et M. de Chateaubriand, elle a commis la faute de les désunir et de sacrifier le poète à celui qui était plus qu’un homme d’affaires sans être un grand homme d’état. M. de Villèle avait l’avantage de ne pas partager les superstitions de son parti ; il ne croyait qu’au pouvoir et à l’argent ; il répugnait à la Charte, parce qu’elle lui paraissait gêner l’autorité royale ; cependant il s’y était résigné dans l’espoir d’un budget plus facile et plus opulent. Mais s’il était sans fanatisme, il était aussi sans conscience ; les calculs du financier finirent par étouffer tous les sentimens du royaliste. Il ne prenait plus fort à cœur les traditions et les croyances du mysticisme monarchique, mais il alla trop loin dans ses mépris, et son ame qui était vide égara son esprit qui était fin. On ne fait rien, surtout on ne gouverne pas les hommes sans quelque grandeur et quelque sincérité dans le cœur ; et les ressources de l’habileté la plus déliée ne valent pas, en de certains jours, les grossières hardiesses de la conviction. En face de M. de Chateaubriand, M. de Villèle, ayant pour complices les antipathies de Louis xviii, se montra petit, ingrat, mal élevé, et il l’outragea pour s’en délivrer irrévocablement.

C’en est fait, Coriolan passe chez les Volsques, et changera les destinées ; si l’injure fut sanglante, la vengeance sera vive ; elle dépassera les espérances, et peu s’en faut qu’elle n’excite la pitié des plus cruels ennemis de la monarchie : elle en meurt, la vieille dynastie, holocauste offert à l’amour-propre blessé ; elle expire sous le genou et sous le fer de celui qu’elle a renié. Mais arrête, implacable tribun ! suspends tes derniers coups ; grâce pour l’ouvrage de tes mains ; souviens-toi de toute ta vie ; retrouve-toi sujet fidèle aux pieds de ton roi ; pardonne l’outrage, redeviens chrétien. Impossible : le vieillard à la tête grise[1] n’entend plus rien : il s’est poussé impétueusement à la tête des générations nouvelles ; il a fait passer à sa suite, sous les drapeaux du siècle et de la liberté, une défection qui laisse un vide funeste dans les rangs op-

  1. Expression de M. de Chateaubriand.