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cri de Montjoie et Saint-Denis : de cette façon, il est en règle avec tout le monde ; prophète de l’ordre nouveau, gardien fidèle du royal oriflamme.

On n’échappe pas à la fatalité de son caractère. M. de Chateaubriand est né pour ébranler l’imagination de ses contemporains, mais non pas pour éclairer leur raison, mais non pas pour exercer sur les affaires publiques une influence utile : c’est un poète incorrigible. Il a poursuivi la gloire de l’homme d’état, il n’a pu trouver que celle de l’écrivain, et, par un singulier contraste, il s’est approprié avec bonheur les formes du style politique, sans être davantage un homme politique. Il a été de sa destinée de se trouver spectateur impuissant de nos deux révolutions : en 1789, il est trop jeune et trop sauvage ; en 1830, il est trop vieux et trop engagé ; dans l’intervalle, en 1814, il travaille à la restauration de la vieille couronne ; de 1825 à 1830, il la brise ; aujourd’hui, il la pleure ; toujours inconséquent, toujours chimérique, puissant dans l’opposition et l’invective, incapable d’asseoir les choses et de gouverner les hommes.

Harmonieux vieillard, repose-toi ; c’est assez de fatigues, d’épreuves et de contradictions, le temps est venu pour toi d’entrer dans la majesté du silence : ou si tu veux encore distraire la renommée, illumine et colore de graves sujets avec les dernières lueurs de ton génie ; occupe-toi de l’humanité, parle-nous de Dieu, mais ne courtise plus les petites occasions et les circonstances frivoles ; ne te fais plus l’auxiliaire et l’apologiste des manéges d’une cour qui ne te pardonnera jamais d’avoir besoin de ton patronage, et que tu n’as jamais aimée, même en la servant : ne songe plus qu’à la postérité, il importe que ta gloire fasse son salut ; pour cela, elle a besoin d’un retour irrévocable à l’autel de la liberté.

Pourquoi faut-il que tant de dissensions divisent encore les Français ? avoir passé quarante années de discordes civiles, pour se retrouver encore en présence et dans l’attente de déchiremens nouveaux ! Le parti du passé ne souscrira-t-il jamais à la marche du temps ? Je conçois tout ce qu’en 1789 a pu avoir de saisissant, d’amer, et de désespérant pour les royalistes, cette insurrection subite qui peu à peu devint furieuse ; ils durent tomber dans le