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ROMANS PROVENÇAUX.

preuves plus certaines et plus singulières du genre d’influence que j’attribue aux Arabes d’Espagne sur l’épopée du moyen âge.

Les Arabes firent, de 791 à 795, plusieurs grandes irruptions en Septimanie. Les populations épouvantées s’enfuirent de toutes parts du bas pays, avec ce qu’elles purent emporter de leurs biens, et se retirèrent dans les montagnes. Une bande de ces fugitifs traversa plusieurs embranchemens des Cévennes, et se porta jusqu’au fond d’une vallée déserte, nommée Conques, non loin du confluent du Lot avec le torrent de Dordun. À la tête de cette bande se trouvait un chef, nommé Datus ou Dado, qui, en 801 ou 802, fonda là une chapelle, destinée à devenir quelques années après le monastère de Conques, l’un des plus célèbres de tout le midi, et dont j’aurai tout à l’heure l’occasion de vous reparler. Jusqu’ici tout est historique ou très-vraisemblable. Mais voici maintenant les motifs par lesquels Datus est supposé avoir fondé cette chapelle, et ici commencent, selon moi, la poésie et la fiction.

Les Sarrasins ayant fait une invasion dans le Rouergue, Datus prit les armes avec ses compagnons de refuge, pour aider les chefs du pays à repousser les infidèles. Mais à peine fut-il sorti de Conques, qu’un détachement de Sarrasins y pénétra de son côté, et y enleva tout, personnes et biens. Cependant l’armée dont ils faisaient partie finit par être repoussée du Rouergue ; les chrétiens qui avaient pris les armes contre elle retournèrent dans leurs foyers, et ceux de Conques, comme les autres. Mais quelle ne fut pas la douleur de Datus et de ses compagnons, lorsque, revenus à leurs demeures, ils trouvèrent que les Sarrasins n’y avaient rien laissé ! — Ils avaient emmené tous les habitans prisonniers, et parmi eux la vieille mère de Datus, sa seule compagnie, son unique consolation.

Emporté par la colère et le désespoir, Datus, à la tête de ses compagnons dépouillés et furieux comme lui, se met à la poursuite des ravisseurs ; il en suit quelque temps la trace, mais il ne peut les joindre en pleine campagne : il les trouve retirés déjà dans un château fortifié, où ils avaient mis leur butin en sûreté. Il essaie de prendre la place ; mais la place est forte, elle est bien