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GEOFFROI ET BRUNISSENDE.

bien cette fois de répéter la question qui lui a attiré tant de coups et de meurtrissures : il reste bien coi dans ses couvertures ; mais, pour le coup, il ne doute plus que le château ne soit un repaire infernal, ses habitans des diables ou des créatures ensorcelées, et il n’hésite plus sur ce qu’il doit faire. Dès que le silence est rétabli, et qu’il entend dormir profondément ses gardiens, il se lève sans bruit, prend sa lance, son écu et son épée, et se glisse sur la pointe des pieds hors de la salle, trouve son cheval dans la cour, et s’éloigne au galop. Il se félicite vingt fois de son évasion, surtout lorsqu’au point du jour, et déjà loin du château, il entend de ce côté les mêmes cris, le même tumulte dont il a déjà été deux fois épouvanté.

Brunissende, qui n’a fait, toute la nuit, que rêver à la manière dont elle s’y prendrait pour retenir Geoffroi auprès d’elle, voit à peine le jour, qu’elle se lève pour aller savoir elle-même des nouvelles de son prisonnier. On se figure aisément sa douleur en apprenant qu’il s’est évadé. Elle donne au sénéchal et aux cent chevaliers qui l’ont si mal gardé une année entière pour le chercher et le ramener, et leur fait jurer, s’ils ne le trouvent pas, de revenir tous se remettre à sa discrétion.

Cependant Geoffroi, désormais assez loin du château, chevauche paisiblement à travers la campagne, charmé du silence qui y règne. Mais sa satisfaction n’est pas de longue durée. À l’heure de none, un concert de cris lamentables, de hurlemens, de pleurs, de coups, de bruits divers, s’élève tout à coup du milieu des champs, de toutes les maisons, de toutes les cabanes. Geoffroi, plus étonné, plus éperdu que jamais, descend de cheval, et se tapit sous un arbre, en attendant ce qui va arriver ; mais bientôt le tumulte cesse, il remonte à cheval, et poursuit sa route. Il n’avait fait encore que quelques pas lorsqu’il rencontre, au milieu du chemin, un bouvier menant une charrette chargée de pain, de vin et de diverses viandes, et invitant à manger tous les passans qu’il rencontre. Il y invite Geoffroi, qui accepte, si pressé qu’il soit de s’éloigner de ce pays ensorcelé. Après un excellent repas, gracieusement servi à l’ombre et sur l’herbe fraîche, Geoffroi s’adresse au courtois bouvier, et lui demande qui il est. Le bouvier répond qu’il est le tenancier d’une