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magnifiques en eux-mêmes, mais hors de place à la scène. Don Ruy, le marquis de Nangis et le comte de Saint-Vallier récitent d’admirables pensées, mais insistent avec une prédilection marquée sur des développemens lyriques très-convenables dans les strophes d’une ode et superflus au théâtre, quand ils ne ralentissent pas l’action. Dans le drame, la poésie lyrique, explicite, officielle, souveraine, a des inconvéniens bien plus graves que dans le roman Quand le poète parle en son nom, même en racontant, il peut impunément broder sa parole et sa pensée, y semer les arabesques, les fleurs, les rosaces, les mascarons ; il la peut faire brillante et variée comme un tapis de Smyrne, il peut la découper en trèfles mauresques, en dentelles, comme les palais de Grenade ou de Venise. Le lecteur est patient, curieux, complaisant. Mais le spectateur aime qu’on se presse. Il veut les développemens, mais nombreux, successifs, hâtés. Les plus belles odes ne valent pas pour lui un mot parti du cœur, un cri échappé des entrailles. Les plus riches et les plus coquettes images lui donnent moins de plaisir qu’une exclamation énergique, qui glace le sang et fait dresser les cheveux.

La poésie lyrique au théâtre peut bien être une fête de cour, un délassement de lettrés, d’oisifs, de philosophes ou de sophistes ; mais une fête populaire, une fête pour la foule, chez qui le cœur domine le cerveau, ne l’espérez pas ! Sous le ciel même de l’Attique, chez ce peuple bavard et médisant, qui reconnaissait l’accent d’une marchande de figues et s’arrêtait pour la railler, Sophocle avait relégué l’ode dans la strophe et l’antistrophe des chœurs. Mais Clytemnestre, Électre, Égisthe, Agamemnon, parlent avec une simplicité aussi nue que les héros du Pentateuque. Le poète grec et le poète hébreu sont poètes à leur aise, mais seulement quand le dialogue est terminé. Quand l’ode commence, c’est que l’épopée ou la tragédie a terminé son rôle, le prophète et le prêtre interviennent. Car, on le sait, le chœur dans le drame antique représente la volonté des dieux.

Eh bien ! Didier, Hernani, Triboulet, Saint-Vallier, prennent trop souvent la parole comme il conviendrait au chœur antique. Quand le fou de François Ier passe la main dans les cheveux de sa fille, au lieu de lui peindre en paroles éclatantes, en images