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Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 8.djvu/614

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REVUE DES DEUX MONDES.

Cette époque est bien celle des rénovations de tout genre. Le mois dernier, c’était la Femme nouvelle qui se révélait à nous. C’est la ville nouvelle qui se bâtit et se fonde aujourd’hui.

Il ne s’agit de rien moins que de supprimer le Paris actuel et de mettre à la place la ville nouvelle, c’est-à-dire le Paris des Saint-Simoniens.

M. Charles Duveyrier, qui n’est pas seulement le poète de Dieu, mais encore bien son architecte, sera chargé de cette grande entreprise.

Or, voici le plan de la ville nouvelle, tel que M. Charles Duveyrier devra l’exécuter.

La ville nouvelle, qui sera en même temps la ville d’espoir et de désir, aura la forme d’un homme couché au bord de la Seine. La ville nouvelle sera un homme, attendu que la société est mâle.

Les palais des rois seront le front de la ville nouvelle. Elle aura un visage de parterres fleuris, une barbe de hauts maronniers, et une chevelure de tilleuls qui retombera en tresses sur ses joues. La ville nouvelle, on le voit, étant saint-simonienne, ne se coupera ni la barbe ni la chevelure.

La ville nouvelle portera un collier de grilles dorées, ce qui toutefois me semble une parure un peu trop efféminée pour une ville-homme.

M. Charles Duveyrier fera à son nouveau Paris une large poitrine qui s’étalera bombée et découverte, et se gonflera d’orgueil lorsqu’elle sentira les belles femmes marcher à sa surface.

Entre nous, ceci arriverait en pareil cas à toutes les poitrines.

Les buttes du Roule et de Chaillot seront les flancs du colosse. Il étendra son bras droit en signe de force jusqu’à la gare Saint-Ouen, et M. Charles Duveyrier lui mettra dans la main un vaste entrepôt, où la rivière versera la nourriture qui désaltérera sa soif et rassasiera sa faim.

Ce bras droit sera rempli par les ateliers, les passages, les galeries et les bazars.

Sur l’épaule droite du colosse, M. Charles Duveyrier placera la Madeleine comme une épaulette d’honneur.

La cuisse et la jambe droite seront formées de tous les établissemens de grosse fabrique. La cuisse gauche offrira aux étrangers de longues files d’hôtels. Les deux pieds seront d’airain, et l’on n’y mettra rien du tout.

Vous voyez, dit l’architecte, que ma ville est dans l’attitude d’un homme prêt à marcher.

Qu’il ne prenne pourtant pas à sa ville, bon Dieu ! fantaisie de le faire ! Que deviendraient alors ces belles femmes qui se promènent sur sa poitrine, et tous les flâneurs qui regardent les boutiques dans les passages et les galeries de son bras droit ?