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ASPIRANT ET JOURNALISTE.

s’embarquer pour l’Amérique ; il me l’avait dit. Lorsque je fus accusé du délit dont il s’était rendu coupable, je lui laissai le temps de partir avant de présenter ma justification complète ; il n’a jamais su cette circonstance, dont je ne prétends tirer avantage que contre les folles passions du parti qui tenait alors la France sous la terreur de ses prévôtés. Cet officier est mort dans la guerre des indépendans.


On ne savait trop comment renvoyer de la marine ceux d’entre nous qui n’étaient pas nobles ou fils de vilains dévoués. Pourtant on voulait épurer là comme ailleurs ; on s’avisa d’un moyen jésuitique. Nous fûmes forcés de subir de nouveaux examens, et sous ce prétexte qui était véritablement odieux, on nous partagea en quatre catégories d’opinions. Je fus placé dans la dernière et renvoyé. Ceci est de l’histoire, et où il faut la voir ce n’est pas dans ce qui m’arriva à moi personnellement, car je ne suis rien, mais dans ce qui advint à six cents officiers : on les chassa pendant qu’on rappelait des hommes d’une ignorance et d’une incapacité révoltantes (il y a eu trois ou quatre exceptions parmi les rentrans), et qui n’avaient pas vu la mer depuis vingt ans. Voilà comme on avait à cœur les intérêts de la marine ; voilà comme entendaient le bien du service les hommes à qui les destinées du pays étaient confiées.


Quand on aime une profession, quand on se sent une aptitude pour son art, quand on a fait des études et dépensé du temps, plus précieux que l’argent, pour se rendre propre à l’exercer, on n’y renonce pas tout de suite. J’aimais la marine, je l’aime encore avec passion ; je n’avais pas d’autre avenir, je cherchai à me faire réintégrer : toujours je fus repoussé. On me traita comme on aurait traité un homme influent. Il me fallut chercher à vivre par une nouvelle industrie. Mon père était mort sans laisser de fortune ; son petit héritage était nécessaire à ma mère et à l’éducation d’un frère cadet qui commençait la médecine. Il était juste que je n’y prétendisse rien ; on avait dépensé beaucoup pour me faire un état, et l’on devait autant au futur médecin. Quelle