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de sorte qu’il n’avait plus à s’occuper de rien. Il passait tranquillement ses journées, dans son hamac, à causer ou à dormir. Une partie des femmes n’avaient aucun vêtement : nous donnâmes à quelques-unes de quoi couvrir leur nudité ; mais nous n’avions pas une quantité d’étoffe assez considérable pour nous montrer aussi généreux que nous l’aurions voulu.

Nous eûmes, à notre arrivée, un exemple frappant du peu de force qu’ont les affections de famille parmi les Indiens. Nous avions dans notre équipage un des fils de Tapaïarwar, âgé d’environ vingt-deux ans, qui, depuis plusieurs années, avait quitté son père pour aller vivre près des blancs du bas de la rivière. Nous l’engageâmes vainement à débarquer en même temps que nous pour voir plus tôt sa famille ; il préféra rester dans le canot, qui faisait le tour de la presqu’île. Quand il parut enfin dans le carbet, où nous étions depuis deux heures, il resta debout sans adresser la parole à aucun des siens, paraissant leur être complètement étranger. Ce ne fut qu’après de vives sollicitations de notre part qu’il s’avança vers son père et lui adressa quelques mots auxquels celui-ci répondit avec la même indifférence ; l’entrevue se termina ainsi sans plus de cérémonies. Tel est en général l’usage des Indiens : après de longues absences, ils rentrent dans leur famille avec le même sang-froid que s’ils venaient de la quitter depuis peu d’instans.

Nous nous établîmes dans le carbet de Tapaïarwar, notre intention étant d’y passer quelques jours pour nous reposer avant de continuer notre route ; nous étions alors à quatre-vingt-deux lieues de l’embouchure de la rivière ; sa largeur n’était plus que d’environ vingt-cinq toises, et elle était descendue à son minimum d’élévation. Nous fîmes des excursions dans tous les sens ; la première fut consacrée à visiter Waninika, qui demeurait à quelque distance au-dessus de son frère. Nous le trouvâmes dans l’état misérable que j’ai décrit, seul avec ses deux femmes et deux petits enfans dans un carbet mal entretenu et à moitié ruiné. Il était brouillé depuis quelque temps avec Tapaïarwar, pour avoir tué un canard domestique appartenant à celui-ci, et dont il refusait de payer la valeur. Ce misérable débat avait encore augmenté