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Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 8.djvu/701

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GEORGES SAND.

Ce précepte, malgré son aridité, malgré l’absence de sanction, aurait bien quelque importance, si l’éducation lui venait en aide, si la vie de famille et les enseignemens des premières années préparaient les jeunes esprits, non-seulement à l’intelligence, mais bien aussi à l’accomplissement du principe.

Mais, que voyons-nous dans le monde au milieu duquel nous vivons ? Pour les hommes, il n’y a qu’un but avoué, la richesse. L’ambition, il faut le dire, l’ambition vraie, devient plus rare tous les jours, et sera bientôt introuvable ; la tribune, le conseil, les ambassades se ravalent au niveau des vulgaires industries. Pour les femmes, elles ont à choisir entre deux partis, la curiosité ou la coquetterie. Si elles ne prennent intérêt à rien ni à personne ; si, pour se dispenser de mal vouloir, elles occupent leurs journées de visites sans nombre, de promenades sans but ; si elles multiplient leurs liaisons pour échapper par la légèreté aux dangers de l’intimité, on les proclame prudentes. Si, moins réservées, moins sûres d’elles-mêmes, elles s’aventurent jusqu’à plaire, encore faut-il qu’elles se défient des moindres amitiés, qu’elles s’arrêtent à temps, afin d’obtenir un établissement avantageux. Celles qui ne sont ni curieuses ni coquettes sont inestimables, infiniment rares, et presque ridicules par leur singularité.

Le mariage est pour l’avarice des hommes une spéculation, et rien de plus ; pour les curieuses, un ennui inévitable ; pour les coquettes, un piége où elles succombent, parce qu’elles ne peuvent briser le lendemain leurs habitudes de la veille. Les fêtes du monde ne sont autre chose qu’un perpétuel et public démenti aux maximes de la société. L’union consacrée par la loi et par l’église, qui devrait adoucir pour tous deux les douleurs du pélerinage, c’est pour l’homme le sommeil des sens qui s’endorment dans la possession pour se réveiller bientôt, et chercher le plaisir dans la nouveauté ; pour la femme, un marché qu’elle signe aveuglément sans prévoir les obligations qu’il entraîne.

Dans une pareille société, l’adultère est inévitable, puisqu’au lieu d’associer la femme à la destinée qu’il s’est faite, l’homme traite le mariage comme le bail d’une ferme ; il est tout simple que chacun des deux viole le contrat, car le double serment n’est le plus souvent qu’un double mensonge.