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MŒURS DES AMÉRICAINS.


Cet isolement des deux sexes qui fait que l’un reste grossier et l’autre insignifiant, est presqu’absolu en Amérique.


« La séparation des deux sexes dont j’ai si souvent parlé, n’est nulle part plus remarquable qu’à bord des bateaux à vapeur. Parmi les passagers se trouvaient un gentilhomme et sa femme qui semblaient souffrir beaucoup de cet arrangement. Cette dernière était malade, et le mari lui rendait tous les soins que les usages pouvaient lui permettre. Quand l’heure du dîner venait et que le maître d’hôtel ouvrait la pièce de communication entre les convives, il était toujours près de la porte pour lui donner la main et la conduire à sa place, et quand, le dîner fini, il fallait sortir, il la ramenait et s’efforçait toujours de prolonger de quelques minutes le plaisir d’être avec elle. Une ou deux fois quand nous étions toutes sur le balcon, et que sa femme restait seule dans la cabine, il se hasarda d’y pénétrer et de s’asseoir un moment à côté d’elle ; mais dès que l’une de nous revenait, il se levait tout confus et se sauvait comme un coupable.

« Les hommes fument et boivent beaucoup sur les bateaux à vapeur, et ces deux circonstances contribuent sans doute à rendre plus stricte l’exécution des règles du décorum américain ; car quoiqu’ils ne se gênent en aucune manière pour cracher et mâcher du tabac en présence des femmes, en général ils aiment mieux boire et jouer en leur absence. »


Ailleurs mistress Trollope laisse échapper cette observation :


« Je remarquai qu’il n’était pas rare, à Washington, de voir une dame donner le bras à un homme qui ne fût ni son père, ni son frère, ni son mari. Ce relâchement remarquable dans le décorum américain, est probablement dû à la présence des légations étrangères. »


Une autre cause de la rudesse des hommes et de l’insignifiance des femmes, c’est que ni les uns, ni les autres, ne cultivent leur esprit. Le goût des lettres et des arts est, pour ainsi dire, inconnu en Amérique ; point de lectures, point de conversations littéraires, rien qui éveille l’imagination, étende la pensée, épure et ennoblisse les sentimens ; les hommes sont tout entiers à leurs affaires, et les femmes aux soins du ménage. Notre voyageuse sent et indique à merveille les conséquences d’un pareil régime.


« Les États-Unis sont le pays du monde qui démontre le mieux l’immense utilité des habitudes littéraires, non-seulement pour étendre les idées, mais ce qui est infiniment plus important, pour épurer et enno-