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Clauzel s’est montré satisfait des vagues explications de M. le président du conseil, a donné à penser que demandes et réponses étaient concertées d’avance, et que les rôles avaient été répétés dans la coulisse. Ceux-là n’ont guère pu en douter, qui ont entendu M. Guizot adresser à demi-voix ces paroles à l’un de ses collègues qui venait d’entrer après la fin de la pièce : L’affaire s’est passée à merveille. Je le crois, monsieur Guizot, pour vous et vos amis, qui n’avez pas tout-à-fait les mêmes intérêts que la France ; mais elle, cette France qui a conquis Alger au prix de son sang et de ses trésors, et qui saurait bien le garder, si elle avait des chefs dignes d’être à sa tête, pensez-vous qu’elle doive être aussi satisfaite de cette incertitude prolongée, que vous paraissez l’être ? Ce n’est pas, du reste, que nous soyons complètement rassurés sur l’avenir des grandes espérances qu’entretiennent quelques personnes au sujet d’Alger. Nous croyons ces espérances bien fondées en réalité ; Alger est aux portes de la France ; le sol en est fertile, le climat favorable ; les bras et les capitaux s’y porteront volontiers ; voilà les élémens de succès : mais une question capitale se présente ; le nouvel établissement une fois affermi, sera-t-il confié aux soins de la même administration qui gouverne despotiquement nos possessions d’outre-mer, ou créera-t-on pour lui un régime à part ? Dans le premier cas, nous, qui connaissons l’histoire de ces possessions et qui les avons vues de près, on nous permettra de douter que les hommes qui n’ont rien su fonder ni même conserver partout où nous avons des colonies, puissent changer subitement leurs habitudes étroites et paperassières, et créer à Alger quelque chose dont la France tire à la fois honneur et profit. Qu’il nous soit permis de rapporter quelques faits, propres à justifier notre opinion. Nous n’aurons pas à remonter bien haut pour les trouver.

Dans ces quinze dernières années, nous avons tenté, sous la direction des hommes dont nous parlons, trois essais de colonisation, et voici les beaux résultats que nous avons obtenus. Le Sénégal, pour lequel, sous le ministère de M. Portal, on s’était pris d’une belle passion, et qui a englouti de nombreux millions, n’est plus aujourd’hui qu’un chétif comptoir qui ne sert qu’à absorber chaque année quelques centaines de mille francs, qui seraient tout aussi utilement employés, si le bâtiment qui les porte les jetait à la mer. Mana, dans la Guyane française, commençait à prospérer, lorsqu’on le livra pieds et poings liés à une intrigante qui l’a exploité à son profit, l’a pillé, volé de manière à ce que, du village élevé par les colons dans les premières années, il ne reste plus en ce moment que des ruines enfouies sous les broussailles, sans un seul habitant. Tous sont morts de misère, ou ont quitté cette terre maudite.