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milieu des ambages d’une prose redondante ; mais le plus habile écrivain s’égare sans honte dans Julia de Roubigné aussi bien que dans Lara.

Le sujet des trois poèmes inventés par Mackenzie ne se recommande au lecteur ni par la nouveauté du plan, ni par le nombre des épisodes, ni par la singularité des ressorts. Rien au monde n’est plus simple, plus naturel, plus trivial si l’on veut. Or, c’est précisément pour cette raison que j’admire si délibérément the Man of feeling, the Man of the world, et Julia de Roubigné, comme j’admire les tableaux de Rembrandt et de Wilkie. Les Politiques de village, le Colin-Maillard, sont aussi des sujets d’une grande trivialité ; mais, pour en tirer ce que Wilkie en a tiré, il fallait être un artiste du premier ordre.

Pareillement, si l’on veut réduire à son origine idéale le type des trois romans de Mackenzie, on voit que dans le caractère de Harley il a voulu montrer les souffrances d’une âme délicate et probe en présence de la vie active, que dans Sindall il a voulu peindre l’égoïsme inflexible, établissant son bonheur sur la ruine de tout ce qui l’entoure, et ne reculant devant aucun scrupule pour assouvir ses passions, et enfin dans Julia de Roubigné les conséquences funestes des sentimens les plus élevés, écoutés seuls et sans réserve. Ce dernier roman fut écrit à la prière de lord Kames, ami de l’auteur, qui reprochait à Sindall une trop grande ressemblance avec beaucoup d’autres scélérats célèbres dans les ouvrages d’imagination. Pour le contenter, Mackenzie a créé Julia, Savillon et Montauban.

Si l’on songe maintenant que chacun de ces trois livres égale en intérêt le chef-d’œuvre de Bernardin, que le simple récit, non pas des événemens, car il n’y en a pas un seul de quelque importance, mais des impressions éprouvées par chacun des acteurs, suffit au poète pour attacher, pour dominer le lecteur, certes il y a lieu de s’étonner et de reconnaître que, s’il n’a pas excellé dans la création des machines épiques, il possédait une rare habileté pour s’en passer.

Et en effet, Harley, Sindall et Julia, malgré la vieillesse incontestable de l’idée qu’ils représentent, se révèlent à nous par une poésie admirablement jeune. L’analyse patiente et déliée de leurs douleurs et de leurs joies, la ténuité des incidens où Mackenzie