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compagné de quatre carabiniers royaux et d’un brigadier, qui demanda, en relevant sa moustache, où était l’infâme cholérique. On lui indiqua le malade ; deux carabiniers le prirent par les bras, deux autres par les jambes ; le brigadier tira son sabre et marcha en serre-file en marquant le pas. Les cinq médecins suivaient le cortège ; quant au maître de forges, il écumait de rage, criait à tue-tête, et mordait tout ce qui se trouvait à portée de sa bouche. C’étaient bien les symptômes du choléra asiatique au second degré ; la maladie faisait des progrès effrayans.

Ceux qui le virent passer n’eurent donc plus aucun doute. On admira le dévoûment de ces dignes médecins, qui allaient braver la contagion ; mais chacun se disposa à la fuir le plus vitement possible. C’est dans cet état de panique que nous avions retrouvé la ville.

En ce moment, notre Allemand frappa sur l’épaule de Jacotot, et lui demanda si c’était parce que la source d’eau intermittente ne coulait plus que tout le monde paraissait si effrayé. Jacotot reprit d’un bout à l’autre le récit qu’il venait de nous faire. L’Allemand l’écouta avec sa gravité habituelle ; puis, lorsqu’il eut fini, il se contenta de dire : Ah ! — et il s’achemina vers l’établissement.

— Où allez-vous ? monsieur, où allez-vous ? lui cria-t-on de toutes parts.

— Ché fais foir la malatte, — répondit notre homme, et il continua son chemin. Dix minutes après, il revint du même pas dont il était parti ; tout le monde l’entoura, en lui demandant ce qu’on faisait au cholérique.

— On l’oufre, répondit-il.

— Comment ! on l’oufre !

— Oui, oui, on lui oufre le fentre, — et il accompagna ces mots d’un geste qui ne laissait aucun doute sur le genre d’opération qu’il indiquait.

— Il est donc déjà mort ?

— Oh ! oui, sans doute, téchà, dit l’Allemand.

— Et du choléra ?

— Non, d’une indigestion : ce paufre homme ! il a fait beaucoup técheuné, et son técheuner lui faissait mal ; ils l’ont mis tans ein bain chaud, et alors son técheuner l’a étouffé : foilà tout.

C’était vrai ; le lendemain on enterra le maître de forges, et le