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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

ne s’en aperçut pas, et voulut encore aller plus loin. Mais, comme les gens qui la suivaient, grossissant beaucoup le cortége, augmentaient les embarras et les dangers du voyage, les seigneurs goths résolurent de ne pas permettre que leur reine fît un mille de plus. Il fallut se résigner à une séparation inévitable, et de nouvelles scènes de tendresse, mais plus calmes, eurent lieu entre la mère et la fille. La reine exprima, en paroles douces, sa tristesse et ses craintes maternelles : « Sois heureuse, dit-elle ; mais j’ai peur pour toi ; prends garde, ma fille, prends bien garde[1] » À ces mots, qui s’accordaient trop bien avec ses propres pressentimens, Galesvinthe pleura et répondit : « Dieu le veut, il faut que je me soumette ; » et la triste séparation s’accomplit.

Un partage se fit dans ce nombreux cortége ; cavaliers et chariots se divisèrent, les uns continuant à marcher en avant, les autres retournant vers Tolède. Avant de monter sur le char qui devait la ramener en arrière, la reine des Goths s’arrêta au bord de la route, et fixant ses yeux vers le chariot de sa fille, elle ne cessa de le regarder, debout et immobile, jusqu’à ce qu’il disparût dans l’éloignement et dans les détours du chemin[2]. Galesvinthe, triste, mais résignée, continua sa route vers le nord. Son escorte, composée de seigneurs et de guerriers des deux nations, Goths et Franks, traversa les Pyrénées, puis les villes de Narbonne et de Carcassonne, sans sortir du royaume des Goths, qui s’étendait jusque-là ; ensuite elle se dirigea, par la route de Poitiers et de Tours, vers la cité de Rouen où devait avoir lieu la célébration du mariage. Aux portes de chaque grande ville, le cortége faisait halte, et tout se disposait pour une entrée solennelle.

  1. … »

    Quod superest gemebundus amor hoc mandat eunti :
    Sis precor, ô felix… sed cave valdè… vale.

    (Venantii Fortunati carmin., lib. vi, pag. 562.)

  2. E contrà genitrix post natam lumina tendens,
    Uno stante loco, pergit et ipse simul.
    Tota tremens, agiles raperet ne mula quadrigas,…
    Illùc mente sequens, quà via flectit iter ;
    Donec longè oculis spatioque evanuit amplo.

    (Ibid. pag. 562)