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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/39

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IMPRESSIONS DE VOYAGES.

des maîtres de forges du Dauphiné : tous ces braves gens étaient très malheureux, le Constitutionnel n’arrivant pas en Savoie.[1]

Le parti bonapartiste avait aussi quelques représentans à cette diète ægrotante. On les reconnaissait vite, au mécontentement qui fait le fond de leur caractère, et à ces mots sacramentels qu’ils jettent au travers de toutes les conversations : — Ah ! si Napoléon n’avait pas été trahi. — Honnêtes gens, qui ne voient pas plus loin que la pointe de leur épée, qui rêvent pour Joseph ou pour Lucien un nouveau retour de l’île d’Elbe, et qui ne savent pas que Napoléon est un de ces hommes qui laissent une famille et pas d’héritier.

Le parti républicain était évidemment le plus faible ; il se composait, si je m’en souviens bien, de moi tout seul. Encore, comme je n’acceptais ni tous les principes révolutionnaires de la Tribune, ni toutes les théories américaines du National ; que je disais que Voltaire avait fait de mauvaises tragédies, et que j’ôtais mon chapeau en passant devant le Christ, on me prenait pour un utopiste, et voilà tout.

La ligne de démarcation était surtout sensible chez les femmes. Le faubourg Saint-Germain et le faubourg Saint-Honoré frayaient seuls ensemble : l’aristocratie de naissance et l’aristocratie de gloire sont sœurs ; l’aristocratie d’argent n’est qu’une bâtarde. Quant aux hommes, le jeu les rapprochait ; il n’y a pas de castes à l’entour d’un tapis vert, et c’est celui qui ponte le plus haut, qui est le plus noble. Rotschild a succédé aux Montmorency, et si demain il abjure, après demain personne ne lui contestera le titre de premier baron chrétien.

Tandis que je faisais à part moi toutes ces distinctions, je roulais vers Chambéry, et comme j’avais encore mon chapeau gris, je n’osai m’y arrêter. Je remarquai seulement en passant qu’un aubergiste, qui avait pris, pour exergue de son enseigne, ces mots : « Aux Armes de France », avait conservé les trois fleurs-de-lys de la branche aînée, que la main du peuple a grattées si brutalement sur l’écusson de la branche cadette.

À trois lieues de Chambéry, nous passâmes sous une voûte qui

  1. Les seuls journaux qui y soient reçus sont la Gazette et la Quotidienne.